Une des plus grandes pages de l'histoire de la course à voile vient de s'écrire à la suite de la victoire du Français Michel Desjoyeaux (Foncia) au terme de 45 000 km de navigation en solitaire.
Encerclé par des centaines de petites embarcations et des dizaines de milliers de spectateurs à terre, Desjoyeaux a franchi la ligne d'arrivée à 16h11 heure de Paris, établissant ainsi un nouveau record de l'épreuve avec un temps de 84 jours 3 heures 9 minutes 8 secondes, retranchant ainsi plus de 3 jours à l'ancienne marque établie par Vincent Riou en 2005. Michel Desjoyeaux devient donc le premier, et très spectaculaire, double vainqueur de l'histoire de la célèbre course.
C'est appuyé sur sa trinquette (voile avant), les bras au ciel en guise de victoire et les larmes aux yeux, que le marin a passé la ligne d'arrivée. Desjoyeaux a immédiatement été rejoint à bord par sa femme et ses trois enfants ainsi que son équipe technique qui s'est immédiatement affairée à affaler la grand-voile et démarrer le moteur afin de permettre l'entrée en douceur dans le chenal du port des Sables d'Olonne.
Questionné directement sur son bateau tout juste avant l'entrée dans un port carrément en liesse, Desjoyeaux a déclaré:
« L'arrivée est agréable, on a même eu droit à un rayon de soleil. Je ne réalise pas ce qui est arrivé depuis deux mois et je ne comprends pas encore, mais je vais avoir le temps d'y penser dans les prochains jours. L'histoire est vraiment belle, cette victoire est superbe. 80% du résultat est la conséquence d'un superbe travail d'équipe et le 20% restant c'est moi qui en course ai fait la différence en y mettant la toile quand c'était nécessaire. J'ai été beaucoup plus calme sur cette édition. Même le Grand sud, malgré les conditions difficiles, n'a pas été si pire que ça. Comme quoi je vieillis! C'est normal de voir 18 bateaux hors course, c'est la course à voile la plus dure qui existe. Mon safran le 25 décembre? C'est simple, j'ai refusé les états d'âme durant toute la course. Les 80 jours autour du monde à la Jules Vernes ne sont plus loin. En fait, c'est totalement réalisable et je crois que nous le verrons en 2012. Faut bien arriver à la maison pour voir une température si froide! »
Cartésien, orienté uniquement vers la performance, maître dans l'art de la guerre psychologique et habité d'un talent hors du commun pour l'interprétation des fichiers météo, Desjoyeaux ne laisse personne indifférent. Comme tous les grands champions, on aime ou on déteste. On l'aime pour sa capacité à profiter de toutes les occasions d'aller vite, on le déteste parce qu'aux yeux de certains, il gagne toujours. Desjoyeaux, 43 ans, s'amuse souvent à dire qu'il a fait comme Obélix et la potion magique en « tombant dedans quand il était petit ».
Initié à la voile par son père alors qu'il était responsable d'un atelier de réparations maritime et propriétaire d'une école de voile, « Le professeur » rencontre un jeune Jean Le Cam au cours de son apprentissage et ce sera le début d'une grande amitié qui les unit encore aujourd'hui. En 1985, à l'âge de 18 ans, et après avoir remporté tout ce qui existe en termes de championnats juniors en Europe, il est invité par nul autre qu'Éric Tabarly à naviguer sur Pen Duick VI pour la solitaire du Figaro en 1985. Tabarly, qui est impressionné par ce jeune loup de mer, lui offre un poste d'équipier lors de la Whitbread (tour du monde en équipage) de 1986. La suite n'est qu'une accumulation de victoires qui en fait le marin le plus titré de l'histoire en solitaire. Route du Rhum, Transat Jacques Vabre, Transat Anglaise, Figaro, The Transat; Desjoyeaux les a toutes gagnées à un moment ou un autre.
Instigateur de la quille à bascule, une des plus grandes avancées techniques de l'histoire sur les monocoques de 50 et 60 pieds, Desjoyeaux remporte le Vendée Globe en 2001 à la suite d'une remontée épique de l'Atlantique Nord contre l'Anglaise Ellen Mc Arthur. Dès cet instant, il est reconnu comme un des plus grands de l'histoire et quelques semaines après son arrivée, il informe qu'il sera du départ dans 8 ans pour un deuxième Vendée Globe, soit en 2008.
« Mich Desj », comme l'appellent ses amis, est donc présent le 9 novembre 2008 au départ des Sables d'Olonne en compagnie de la plus grosse flotte à prendre le départ de l'Everest des mers. Ils sont 30 à rêver de victoire dans ce qui est considéré comme le peloton le plus relevé, toutes régates confondues, de l'histoire de la navigation en solitaire. Trois mois de navigation devant eux, aucune assistance possible autre que par radio, deux à trois heures de sommeil prévu par jour sur les mers les plus difficiles à naviguer de la planète, particulièrement celles du Pacifique sud au cours desquelles les marins se retrouveront à un certain point à plus de 3000 km de toute terre connue.
Le départ donné, catastrophe pour Desjoyeaux. Son système de ballast fuit et il est aux prises avec des problèmes de nature électrique sur Foncia. À contrecoeur, Desjoyeaux rebrousse chemin vers la ligne de départ, seul endroit où l'assistance est permise, pour réparations. Le tout prendra 40 longues heures à régler avant son retour en mer. La suite passera à l'histoire comme la plus grande remontée jamais observée au cours d'une telle épreuve.
En l'espace de 37 jours, avec comme arme une lecture parfaite des systèmes météo et usant de finesse dans ses réglages, Desjoyeaux aura repris la mesure de tous les concurrents et prend les commandes de l'épreuve à la suite du démâtage de l'Anglais Mike Golding (Ecover) le 16 décembre. Plus rien n'arrêtera Desjoyeaux et bien que Roland Jourdain (Veolia) lui livre toute une bataille jusqu'au Cap Horn, jamais il n'aura pris la mesure de l'ami Mich malgré un mois de navigation avec moins de 100 milles nautiques de distance entre les deux. Un seul moment d'inquiétude pour « Le professeur » : le jour de noël, un de ses safrans (gouvernail) est pratiquement arraché par une vague. Comme quoi la chance accompagne les plus grands, il sera capable de réparer et encore plus, de ne rien dire à ce sujet jusqu'à voilà maintenant quelques jours.
Ce que vient de réaliser Desjoyeaux dans ce Vendée Globe est carrément hallucinant. Au même titre que Tiger Woods, Mario Lemieux, Valentino Rossi ou Michael Schumacher, Desjoyeaux entre dorénavant dans la catégorie des athlètes plus grands que leur sport, comme si la concurrence était dans une ligue inférieure. Remonter 40 heures de retard sur un concurrent est déjà un exploit, mais sur 29 autres skippers, ça tient du miracle. Gagner l'épreuve en solitaire la plus difficile à gagner deux fois en deux participations, ça ne s'explique pas.
Desjoyeaux se doit maintenant d'être considéré comme LE plus grand marin de l'histoire et du monde en solitaire.
Les positions à 11:00hrs TU + retard sur le 1er (milles nautiques)
Suivez la position des skippers <http://tracking.vendeeglobe.org/fr/>
1- Michel Desjoyeaux-FRA (Foncia), Vainqueur en 84 jours 3 heures 9 minutes 08 secondes
2- Roland Jourdain-FRA (Veolia Environnement),
3- Armel Le Cléac'h-FRA (Brit Air), 290 (11 heures seront à retrancher de son parcours)
4- Samantha Davies-GB (Roxy), 1251 (32 heures seront à retrancher de son parcours)
5- Marc Guillemot-FRA (Safran), 1334 (82 heures seront à retrancher de son parcours)
6- Brian Thompson-GB (Team Pindar), 1602
7- Dee Caffari-GB (Aviva), 1856
8- Arnaud Boissières-FR (Akena Verandas), 2280
9- Steve White-GB (Toe in Water), 3256
10- Rich Wilson-USA (Great American), 4563
11- Raphaël Dinelli-FRA (Océan Vital), 5887
12- Norbert Sedlacek-AUT (Nauticsport), 6044
13- Vincent Riou-FRA (PRB), Abandon, Démâtage, (Classé 3e par le Jury International)
14- Jean Le Cam-FRA (VM Matériaux), idem, chavirage au sud du Cap Horn
15- Jonny Malbon-GB (Artemis), idem, Problème de grand-voile
16- Jean-Pierre Dick-FRA (Paprec-Virbac), idem, safran bâbord arraché
17- Sébastien Josse -FRA (BT), idem, Safran cassé
18- Derek Hatfield-CAN (Spirit of Canada), Idem, Barres de flèche cassées
19- Yann Eliès-FRA (Generali), Idem, Fracture à la jambe
20-Jean-Baptiste Dejeantly-FRA (Maisonneuve), idem, multiples problèmes d'usure
21- Mike Golding-GB (Ecover), idem, Dématâge
22- Bernard Stamm-SUI (Cheminée Poujoulat), idem, Échouage
23- Dominique Wavre-SUI (Temenos), idem Ennuis de quille
24- Loïc Peyron-FRA (Gitana Eighty), idem, Démâtage
25- Una Basurko-ESP (Pakea Bizkaia), idem, Bris au puits de safran tribord
26- Jérémie Beyou-FRA (Delta Dore), idem, Barres de flèches cassées
27- Alex Thompson-GB (Hugo Boss), idem, Dommages structurels
28- Kito de Pavent-FRA (Groupe Bel), idem, Démâtage
29- Marc Thiercelin-FRA (DCNS), idem, Démâtage
30- Yannick Bestaven-FRA (Aquarelle.com), idem, Démâtage
Le vainqueur, Michel Desjoyeaux.