Comment se fait-il que les Québécois, qui ont bâti d'extraordinaires barrages hydro-électriques, soient incapables de construire un hôpital?

C'est à cette interrogation désespérée qu'on en arrive, lorsqu'on apprend que les projets des deux hôpitaux universitaires de Montréal se retrouvent une fois de plus sur la glace, et que l'ouverture du CHUM et de son pendant anglophone, le CSUM, prévue pour 2010, pourrait être retardée de deux ou trois ans. Ces nouveaux délais ouvrent la porte à toutes sortes de suggestions farfelues, comme celle que véhiculait hier Claude Béland, qui présida la Société d'implantation du CHUM sous l'ancien gouvernement péquiste (on se rappellera que l'hôpital devait alors être situé rue Saint-Denis). Pourquoi ne pas revenir au concept, plus économique, d'un seul hôpital? de demander M. Béland.

Décidément, on tourne en rond.

L'idée d'un seul hôpital -mais bilingue, évidemment-, fort logique en théorie, a déjà été débattue et écartée parce qu'elle serait inopérante en pratique. Quand on pense aux tensions qu'a suscitées la fusion des hôpitaux francophones pour former le CHUM -et cela se faisait dans un même milieu-, on peut imaginer à quel point il serait difficile d'intégrer deux facultés de médecine, avec chacune ses propres traditions.

En outre, le phénomène récent des épidémies laisse croire qu'il serait imprudent de concentrer toutes les ressources de pointe au sein d'un même complexe immobilier. Mieux vaut disposer de deux grands hôpitaux, l'un pouvant en cas de drame suppléer aux manques de l'autre. Ce à quoi la présidente du Conseil du Trésor, Mme Jérôme-Forget, ajoute un autre argument massue: «Allez-vous me dire qu'il y a trop de lits d'hôpitaux à Montréal?» disait-elle jeudi soir à un intervieweur.

L'ironie, c'est que sauf erreur, les partisans d'un hôpital unique (souvent des «nationaleux» qui veulent réduire l'influence de McGill) étaient aussi partisans du site Saint-Luc, sous le prétexte fallacieux que le CHUM devait être situé à l'est du boulevard Saint-Laurent. Ils se feraient prendre à leur propre jeu si l'on s'orientait vers l'option de l'hôpital unique, car cet hôpital desservant les deux communautés linguistiques devrait obligatoirement être situé au centre de l'île. Et quoi de mieux, alors, que le site Outremont, sur l'ancienne gare de triage du CP?

Chose certaine, l'érection du CHUM en plein centre-ville, coincé entre une autoroute et un tissu urbain serré qui exclut toute perspective d'agrandissement futur -projet qui en plus passe par la rénovation d'un vieil hôpital-, va causer d'abominables problèmes de circulation et de construction, et entraîner des dépassements de coûts, comme l'avaient prédit les ingénieurs qui ont étudié le dossier, et qui n'ont pas manqué de signaler qu'il en coûte toujours plus cher de rénover que de construire du neuf.

Hélas, trois fois hélas, le gouvernement, sous la pression de divers lobbies, a lâchement renoncé au beau projet porteur piloté par l'ancien recteur de l'Université de Montréal -projet qui avait au surplus l'appui enthousiaste de la majorité des médecins-chercheurs du CHUM.

Le ministre de la Santé était, comme les fonctionnaires planqués à Québec, du côté de ceux qui militaient contre le site Outremont, et il a si bien manigancé qu'il a fini par l'emporter sur le premier ministre Charest, qui vacillait sous la pression.

Eh bien, serait-on tenté de dire, que le gouvernement souffre, maintenant! Et qu'il en paie le coût politique!

Il faut quand même reconnaître que dans ce dossier si mal parti, le gouvernement fait preuve de sens des responsabilités. Mme Jérôme-Forget, qui sait que la bourse dont elle détient les cordons appartient aux contribuables, est une gardienne farouche des fonds publics. Elle a raison de dire qu'il ne faut pas creuser avant de savoir combien tout cela va coûter. Si l'ancien gouvernement péquiste avait été aussi prudent, le Québec aurait évité les gouffres financiers de la Gaspésia et du métro de Laval.

Il reste que bien des questions sont en suspens. Comment se fait-il que les médecins du CHUM et du CSUM ne se soient pas encore entendus sur la répartition de certaines spécialités? Le gouvernement n'avait-il pas délégué un médiateur de la faculté de médecine de Sherbrooke pour tenter d'accélérer des discussions qui ont débuté il y a des mois?

La façon cavalière et franchement insultante dont le gouvernement a traité les médecins spécialistes, au printemps dernier, n'a certainement pas aidé les choses. Il est bien évident, en tout cas, qu'on ne construit pas un édifice sans savoir ce qu'il devra contenir.