Aux yeux de Walter Wagner, le compte à rebours pour la fin du monde a peut-être commencé ce matin à 3h30. C'est à ce moment qu'un faisceau de protons doit être allumé au Grand collisionneur de hadrons (LHC selon le sigle anglais) du Centre européen de la physique nucléaire (CERN).

D'ici trois ou quatre semaines, un second faisceau de protons sera allumé, provoquant des collisions d'énergies presque inégalées dans les laboratoires du monde. Et d'ici un an et demi, des atomes lourds seront insérés dans les faisceaux, propulsant le LHC au premier rang des équipements de physique des particules.

 Ces expériences, selon M. Wagner, pourraient créer des mini-trous-noirs qui phagocyteront la Terre. Ou pire, des particules polarisées qui contamineront toutes les particules de la planète et transformeront chaque objet et chaque être vivant.

«Je pense que l'humanité aurait dû être consultée avant que les physiciens du CERN prennent ce risque», affirme M. Wagner, ancien inspecteur nucléaire, joint à Hawaii. «On joue avec des énergies jamais vues.»

L'hiver dernier, M. Wagner s'est adressé aux tribunaux américains pour mettre le LHC hors d'état de nuire tant qu'une évaluation gouvernementale américaine n'avait pas été faite des risques. «Disons que ça va mal, dit M. Wagner. La juge avait l'air sympathique, mais la semaine dernière, elle a indiqué qu'elle allait d'abord décider si le CERN fait partie de la juridiction américaine. Un autre groupe a déposé une poursuite similaire en Allemagne, mais les perspectives de succès sont aussi minces que les nôtres.»

Les physiciens du CERN affirment qu'ils ont évalué tous les risques. «Des collisions avec ce niveau d'énergie surviennent régulièrement dans la nature depuis des milliards d'années», explique Brigitte Vachon, physicienne à l'Université McGill, qui analysera une partie des millions de gigaoctets de données générées par l'expérience. «On prévoit en effet l'apparition de mini-trous-noirs, mais la théorie nous dit qu'ils ne seront pas assez gros pour survivre, et qu'ils disparaîtront parce qu'ils émettent plus de radiations qu'ils ne sont capables d'attirer de matière.» Quant aux particules polarisées, il s'agit de science-fiction, explique le CERN sur son site web.

N'empêche, les craintes de M. Wagner ont fait des petits et certains dirigeants du CERN ont reçu des menaces de mort, selon le quotidien britannique The Daily Telegraph. Beaucoup des courriels citent Our Final Century, un livre écrit par Lord Rees, le président de la prestigieuse Société royale, qui a affirmé qu'il s'agissait d'une mauvaise compréhension de son ouvrage.

Dans un registre plus léger, des physiciens russes ont avancé que les expériences du LHC pourraient amener à notre époque des voyageurs venus du passé. Et des étudiants au doctorat du CERN ont mis sur YouTube une explication du LHC rythmée par de la musique rap.

McGill sera l'un des trois centres canadiens qui collaboreront au LHC. Ils auront un accès exclusif à l'un des 10 accès directs aux données du CERN. Outre l'analyse des données (de 2 à 5 millions de gigaoctets par année), la quinzaine de physiciens montréalais du groupe de Mme Vachon aideront à choisir les collisions qui seront enregistrées par les quatre capteurs du LHC.

«Le système enregistrera seulement 200 du milliard de collisions qui surviendront chaque seconde, explique-t-elle. Il faudra bien choisir lesquelles. Il faudra élaborer des algorithmes qui pourront prendre la décision en quelques nanosecondes, à partir de quelques observations des conditions initiales.»

QUAND LA SCIENCE FAIT PEUR

Voici quelques autres avancées scientifiques qui ont généré des angoisses de fin du monde.

- Lors du premier essai d'une bombe nucléaire, en 1945, certains experts ont craint que la réaction en chaîne embrase l'atmosphère terrestre au complet.

- En 1975, les biologistes les plus réputés de la planète ont participé à la Conférence d'Asilomar, qui limitait sévèrement l'utilisation des techniques de clonage pour donner à la société le temps de déterminer si leur utilisation mènerait à la fin de l'humanité. Le moratoire a ralenti le progrès de la biotechnologie pendant deux décennies.

- En 1986, l'ingénieur américain Eric Drexler a avancé que les nanotechnologies deviendraient hors de contrôle, se reproduiraient par elles-mêmes, et généreraient un magma de cellules, appelé «grey goo», qui recouvrirait la Terre de plusieurs mètres de matière hostile à la vie. L'impact environnemental et sur la santé humaine des nanotechnologies reste toujours à déterminer avec précision, mais elles sont de plus en plus utilisées, et le «grey goo» ne s'est pas matérialisé.