Après la mort de son fils Sébastien, assassiné en 2000 par des motards criminels dans un bar de Montréal, Carole Bertrand avait mal dans tout son corps et dans son âme. Les thérapies ne lui offraient plus aucun soulagement. Elle avait des idées suicidaires.

Puis, il y a cinq ans, elle a participé à des rencontres détenus-victimes. L'assassin de son fils étant toujours au large, mais elle a rencontré d'autres motards criminels emprisonnés pour meurtre. Elle leur a parlé du cauchemar qu'elle vivait depuis la mort de son fils. Elle leur a dit comment l'événement avait détruit sa vie et celle de son mari, et bouleversé celle de tous leurs proches.

« Par la suite, deux motards m'ont envoyé chacun une lettre pour m'expliquer pourquoi ils avaient choisi la criminalité. À la fin, ils me demandaient pardon d'avoir contribué, par leurs choix et par la bande, au meurtre de mon fils. J'ai senti une grande libération. Ces deux gars ont reconnu que je souffrais le martyre. »

Cette reconnaissance lui a permis de faire enfin la paix avec elle-même. Jusque-là, elle se sentait encore coupable de ne pas avoir été là quand son fils avait besoin d'elle.

Des victimes ne sont pas d'accord

L'Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD) est cependant prudente face à ces démarches. « On dit aux familles : si vous voulez embarquer là-dedans, on ne vous juge pas. Mais c'est un choix individuel », dit son président, Pierre-Hugues Boisvenu.

Ce dernier, d'ailleurs, n'a aucune envie de rencontrer le meurtrier de sa fille Julie. «Ma fille a été assassinée. Ce n'est pas comme si on m'avait volé mon auto pour payer une dette de drogue. Dans un cas comme ça, on peut essayer de comprendre le criminel. Mais quelqu'un qui viole et assassine...»

Ce qui préoccupe le plus Pierre-Hugues Boisvenu, c'est que les détenus qui participent à la démarche le fassent pour obtenir plus facilement une libération conditionnelle. « J'ai toujours craint que des criminels qui, à la base, sont des manipulateurs se servent de ça pour paraître bien devant la justice. Je m'en suis toujours tenu loin. »

« Il ne faut pas se leurrer, dit Carole Bertrand. Il y en a qui le font pour sortir. Mais ils sont détectés avant les rencontres avec les victimes. Ça paraîtrait tout de suite dans un groupe, ils ne pourraient expliquer avec leur coeur ce qu'ils ont vécu. »

Le pardon ou pas ?

« Les victimes qui veulent faire cette démarche ne sont pas toujours bien comprises », a noté Mylène Jaccoud, professeure à l'Université de Montréal. « Il y a des gens qui pensent que c'est une réconciliation. C'est faux. Les mouvements confessionnels y voient l'idée du pardon, mais le pardon est une démarche personnelle, ce n'est pas l'objectif. »

Carole Bertrand n'aime d'ailleurs pas l'idée du pardon, trop associé à la religion. « On parle de réparation entre deux groupes opposés, dit-elle. J'ai à faire la paix avec moi-même et avec les autres. Mais ce n'est pas du pardon. »

Michel Dunn, lui, n'a pas participé à ces rencontres. Emprisonné pendant 17 ans pour avoir tué son associé, il travaille aujourd'hui pour l'organisme Option-Vie et aide d'ex-détenus à réintégrer la société. Vingt-huit ans après le crime, il a reçu une lettre de la femme de sa victime. « Ce n'était pas un pardon, mais elle me disait qu'elle me libérait de sa rancune, de sa haine et de sa colère. »

Il dit qu'il souviendra toute sa vie du matin où il a reçu le courriel. « Elle était fatiguée de souffrir, dit-il. Nous, en prison, nous sommes entourés de plein de spécialistes qui nous aident à comprendre les raisons de nos gestes. Les victimes, elles, sont laissées de côté avec plein de questions sans réponse. Ils ne servent que de témoin dans le processus judiciaire. »

Le message de la dame est venu comme un cadeau pour Michel Dunn, qui en parle avec émotion. «J'ai gâché sa vie, celle de sa famille et de la mienne. Je suis content qu'elle ait trouvé la force d'en arriver là.»