L’automne dernier, élus et observateurs ont eu recours à un vieux truc pour éviter de mettre en place une solution pérenne pour le financement des déficits structurels du transport collectif (TC) : montrer du doigt la performance des sociétés de transport (ST). Cette stratégie maintes fois utilisée au cours des 25 dernières années allait cette fois prendre la forme d’audits de performance.

Pourtant, la STM fait déjà l’objet de nombreux audits annuels menés par le vérificateur général de la STM, puis celui de la Ville de Montréal, par des auditeurs externes, encore là de la STM, puis de la Ville, par le Contrôleur général de la Ville, le Bureau de l’Inspecteur général de Montréal, par les auditeurs du ministère des Transports et de la Mobilité durable, et j’en passe. S’il y avait des enjeux de performance ou de mauvaise gestion, ces instances les auraient montrées du doigt depuis longtemps.

De plus, la STM ne contrôle pas grand-chose. Depuis 2017, elle ne gère plus ses revenus ni ne détermine son offre de service (responsabilités de l’ARTM). Elle a également perdu son pouvoir d’emprunt en 2009 au profit du ministère des Finances du Québec et de la Ville de Montréal.

Il ne lui reste que la gestion de ses dépenses rognées continuellement depuis 30 ans par de nombreuses rationalisations imposées. Seule la rémunération a été épargnée au fil du temps, car elle constitue en soi l’offre de service et parce que bien payer ses employés qui font un métier exigeant sur des horaires atypiques est une bonne chose. Le rattrapage salarial en cours en éducation et en santé n’est pas nécessaire pour le transport collectif. C’est plutôt du côté des conventions collectives trop rigides et de leur application souvent laxiste qu’il faut mettre l’accent, travail amorcé lors des négociations des plus récentes conventions collectives en 2018.

Des objectifs contraires

Huitième entreprise au Québec, la STM est aussi coincée entre l’ingérence de ses trois actionnaires qui poursuivent souvent des objectifs contraires, entraînant de lourdes conséquences sur sa santé financière et sa performance :

  • Modalités d’appel d’offres pour l’achat de bus imposées par la loi. Ainsi, depuis 25 ans, un seul soumissionnaire québécois se qualifie. Ses bus éprouvent des enjeux récurrents de fiabilité entraînant des coûts d’entretien exorbitants.
  • Loi spéciale imposant le consortium Bombardier-Alstom pour la construction des voitures Azur, et ce, dans le but de sauver son usine de La Pocatière. L’interdiction d’aller en appel d’offres (droit toutefois accordé à CDPQ Infra pour le REM) a coûté cher à la STM, privée des avantages de la concurrence.
  • Achat de 17 trains Azur supplémentaires (et mise au rancart de 17 trains MR-73) imposé pour compenser le fait que les voitures du REM soient construites hors Québec, et ce, malgré les travaux en cours pour prolonger la vie de 20 ans de ces voitures MR-73.
  • Entente entre Québec et Montréal pour le transfert de 800 millions à la Ville de Québec pour son projet de tramway. Ces fonds accordés à la STM ont été échangés contre des sommes qui devaient servir à des projets (ex. : portes palières) abandonnés quelques années plus tard à la demande de Montréal pour soulager sa dette.
  • Accélération de l’acquisition de 300 bus en 2020 initialement prévue pour 2025 et des infrastructures nécessaires pour les garer et les entretenir (près de 1 milliard d’investissements devancés inutilement). La STM a dû réaliser en trois ans ce qui prend habituellement plus du double de temps, entraînant des conséquences importantes sur les choix effectués et engendrant les retards (et les coûts) actuels dans la construction du centre de transport Bellechasse.
  • Blocage de l’ARTM du déploiement d’une plateforme qui devait être en service en 2020 à l’aide d’un partenaire privé, permettant d’utiliser son cellulaire pour payer son titre de transport.

On peut ajouter la gratuité, la non-indexation des tarifs, l’électrification des bus, etc., que la STM s’est vu imposer. Ces exemples expliquent en partie les salaires consentis aux dirigeants des sociétés de transport. Qui veut gérer une entreprise en ayant de telles contraintes et être tout de même tenu de rendre des comptes sur les résultats ?

Les employés du transport collectif sont des artisans qui le tiennent à bout de bras. Sans les moyens de leurs ambitions, ils réussissent à effectuer un travail remarquable dans les circonstances. Donnons-leur la gouvernance qu’ils méritent et qui permettra d’assainir les finances tout en leur donnant la possibilité de contribuer pleinement à contrer les effets de la crise des changements climatiques.

L’ingérence politique répétitive est une cause importante des problèmes financiers auxquels le transport collectif est confronté et qui existaient bien avant la pandémie. Sans elle, imaginez tous les milliards qui auraient pu être économisés.

Il est, à mon avis, temps de réfléchir à regrouper les nombreux acteurs du transport collectif sous une véritable société d’État à l’abri de cette ingérence. Sans cet exercice prioritaire, toutes les nouvelles sources de revenus nécessaires pour équilibrer son cadre financier risquent encore une fois d’être détournées vers des priorités politiques qui n’ont rien à voir avec le maintien et le développement du service.

Une fois cet exercice réalisé, nos élus devront puiser dans leur réserve de courage et mettre en place une forme de taxation dédiée, indexée et récurrente, conclusion à laquelle arrivent les nombreuses réflexions réalisées depuis 25 ans et mises en place un peu partout dans le monde.

Les sociétés de transport du Québec peuvent et doivent s’améliorer. Elles le démontrent depuis longtemps. Au tour de leurs actionnaires et de leurs élus maintenant.

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