Il fut un temps où le secret entourant le budget était considéré comme sacré et toute fuite, même accidentelle, provoquait des appels à la démission du ministre des Finances.

En 1983, à la veille de son avant-dernier budget, le ministre Marc Lalonde avait invité les caméras dans son bureau, comme le veut la tradition, pour montrer ses nouveaux souliers. Mais un caméraman futé a réussi à trouver le montant alloué à un programme de création d’emplois dans le document que tenait le ministre, ce qui fut, bien évidemment, la manchette du bulletin de nouvelles.

L’opposition était aux abois, demandait la démission de M. Lalonde, qui a tout simplement ajouté 200 millions à son programme, ce qui lui permettait de dire qu’il n’y avait pas eu de fuite…

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Marc Lalonde, ex-député d’Outremont et ancien ministre des Finances sous le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau

En 1989, c’était le traditionnel document « Le budget en bref » qui avait été lu sur les ondes du réseau Global, ce qui avait forcé le ministre des Finances Michael Wilson à présenter son budget dès le soir même à la salle des conférences de presse.

Pour la petite histoire, le premier ministre Brian Mulroney, à qui il arrivait parfois de s’emporter, avait décrété que c’était un vol et avait fait accuser le journaliste Doug Small au criminel. Il fut acquitté.

Tout cela pour dire qu’il est contraire à la tradition, et même étrange, de voir les ministres du gouvernement Trudeau se promener aux quatre coins du pays depuis quelques jours en révélant des initiatives qui seront contenues dans le budget du 16 avril prochain.

Une sorte de striptease, plus préélectoral que prébudgétaire, auquel se livrent pratiquement tous les ministres du gouvernement. Places en garderie, charte des locataires, petits déjeuners à l’école, extension de l’assurance médicaments, tout cela aura déjà été annoncé, même si ce sera dans le budget de la ministre Chrystia Freeland.

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Le premier ministre Justin Trudeau (à gauche) en compagnie des ministres Chrystia Freeland et Harjit S. Sajjan, la semaine dernière, lors d’une annonce à Vancouver

La stratégie derrière cette série d’annonces est transparente. Sans doute un peu trop. D’abord, cela permet de donner plus de visibilité à des annonces populaires qui risquent d’être perdues dans la pléthore d’annonces d’un jour de budget.

Mais surtout, cela met sur la table des projets que l’on pourra opposer au chef de l’opposition, Pierre Poilievre, en le mettant au défi de dire s’il garderait tel ou tel programme que viennent d’annoncer les libéraux, si, bien sûr, il devait prendre le pouvoir.

Mais c’est aussi une stratégie qui peut se retourner contre les libéraux. D’abord parce que la plupart de ces annonces touchent des questions qui sont carrément de compétence provinciale.

Au Québec en particulier, mais pas exclusivement, ce genre d’ingérence fédérale n’est pas très populaire. Comme l’argument qui veut que le gouvernement fédéral doive s’occuper des problèmes et des besoins des citoyens sans trop s’inquiéter des compétences.

Malheureusement pour le gouvernement Trudeau, sa réputation d’efficacité et de toujours détenir les meilleurs moyens de livrer les services aux citoyens en a pris pour son rhume ces dernières années. Il n’est pas du tout certain que les Canadiens ou les Québécois attendent avec impatience de pouvoir bénéficier d’une charte fédérale des locataires ou d’une autre promesse libérale.

Le meilleur exemple de cette situation est le programme fédéral de garderies. La promesse phare de la campagne électorale de 2021.

Radio-Canada a rapporté il y a quelques jours que ce programme fédéral – qui faisait partie de la plateforme électorale de Justin Trudeau – a mené à la création de moins de 100 000  places sur les 250 000 promises. C’est moins de 40 % de l’objectif, et il y a bien peu d’experts du domaine qui croient qu’Ottawa sera en mesure de créer d’ici deux ans les 150 000 places manquantes, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Dans les circonstances, promettre encore plus de places en garderie donne l’impression d’un joueur de poker qui essaie désespérément de se « refaire » en augmentant la mise.

L’autre danger dans cette stratégie du striptease électoral, c’est que la taille du déficit fédéral risque fort d’être la seule surprise de ce budget.

Les libéraux ont souvent tendance à croire que les citoyens ne se soucient pas vraiment du déficit. Pourtant, dans les deux plus importantes provinces canadiennes, l’Ontario et le Québec, les sondages indiquent qu’il s’agit bien d’une préoccupation importante des électeurs.

Au Québec, il est clair que le déficit record de 11 milliards de dollars fait partie des raisons de la dégringolade continue du gouvernement de la CAQ. En Ontario, avant même le dernier budget et son déficit record, un sondage Angus Reid indiquait que 61 % des Ontariens s’estimaient déjà mécontents de la manière dont le gouvernement Ford gérait son déficit.

Le même sort guette le gouvernement Trudeau, surtout si, comme le prévoyait la Banque TD il y a quelques jours, le déficit fédéral atteint les 55 milliards de dollars, alors que le gouvernement le prévoyait à 40 milliards il y a seulement trois mois ⁠1.

1. Lisez l’aperçu du budget fédéral 2024 sur le site de la Banque TD Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue