Comment traduire l’horreur du drame en cours dans la bande de Gaza ?

64 %

Près des deux tiers des personnes interrogées pour un sondage à Gaza ont affirmé qu’un membre de leur famille a été tué ou blessé au cours du conflit actuel.

Source : Palestinian Center for Policy and Survey Research

La question demeure brûlante d’actualité alors que les civils dans l’enclave palestinienne font les frais de raids aussi fréquents que meurtriers et que la situation humanitaire demeure catastrophique.

Résultat de la réplique israélienne au massacre perpétré par le Hamas en octobre dernier : on a franchi le cap des 27 000 morts dans la bande de Gaza, selon les chiffres du ministère de la Santé de cette enclave palestinienne, contrôlé par le Hamas.

Mais l’impact de la riposte d’Israël peut aussi être illustré d’une autre façon, sans lien aucun avec les chiffres du Hamas.

Grâce aux résultats d’un sondage.

J’en ai pris connaissance en écoutant une récente balado du journaliste Ezra Klein, du New York Times⁠1. Je n’avais auparavant entendu personne évoquer cette étude, publiée en décembre dernier par le Palestinian Center for Policy and Survey Research.

PHOTO MAHMUD HAMS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Bombardement sur Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Résultat de la réplique israélienne au massacre perpétré par le Hamas en octobre dernier : on a franchi le cap des 27 000 morts à Gaza, selon les chiffres du ministère de la Santé de cette enclave palestinienne, contrôlé par le Hamas.

La statistique citée par le journaliste est absolument saisissante : 64 % des personnes interrogées à Gaza ont affirmé qu’un membre de leur famille a été tué ou blessé au cours du conflit actuel.

Ça représente près des deux tiers des habitants de Gaza.

C’est sidérant.

Le constat est implacable : à une tragédie – celle du 7 octobre 2023 en Israël – en succède une autre. L’horreur répond à l’horreur.

J’ai calculé ce qu’un tel bilan représenterait pour une population comme celle du Québec. Ça voudrait dire que si un conflit aussi sanglant se déroulait ici, toutes proportions gardées, plus de 5 millions d’habitants de la province rapporteraient qu’un membre de leur famille a été tué ou blessé.

C’est pratiquement inconcevable.

J’ai joint à New York Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique de l’Université de Montréal, pour obtenir son avis.

« Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La statistique frappe », a-t-elle lancé.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Joëlle Zahar, professeure à l’Université de Montréal en science politique, spécialiste du Moyen-Orient

Le fait que tout ça se passe alors que le monde est essentiellement passif, c’est ce qui me trouble le plus. Qu’on soit capable, après la Bosnie, le Rwanda, la Somalie, d’assister de manière passive à ce genre de choses…

Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique à l’Université de Montréal

Elle m’a aussi parlé de la probité de cette étude, qui « provient de la seule firme de sondage dans tout le monde arabe que l’on considère comme étant professionnelle et fiable ».

Selon le directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires, François Audet, « on est dans une des pires crises récentes de l’histoire de l’humanité en ce qui concerne la vitesse à laquelle ce nombre de victimes a été atteint pour un conflit ».

Le bilan humain tragique est la conséquence des « bombardements indiscriminés sur des zones civiles, justifiés par Israël parce qu’étant des zones potentiellement avec des membres du Hamas, des tunnels, etc. », a-t-il résumé, rappelant que parmi ces civils, il y a « des enfants, des femmes, des personnes âgées ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires

Ça va être tristement un cas de figure, pour celles et ceux qui font de la recherche sur la gestion de crise, comme moi, qui expose lamentablement l’échec de la gouvernance mondiale à protéger les populations civiles en cas de conflit.

François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires

Tant Marie-Joëlle Zahar que François Audet m’ont parlé d’une autre statistique qui ne devrait laisser personne indifférent. Celle qui concerne les déplacés à Gaza.

« Sur les 2 millions de Palestiniens dans l’enclave, 1,9 million ont été déplacés, selon Human Rights Watch et des données qui proviennent des Nations unies. C’est [plus de] 85 % de la population », a souligné Mme Zahar.

Je termine avec un dernier chiffre en lien avec les autres : celui du coût de la reconstruction. Il atteindra « plusieurs dizaines de milliards de dollars, selon une estimation prudente », a évalué récemment la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

C’est que la bande de Gaza est carrément devenue « inhabitable ».

Une situation qui met également en danger la vie des habitants.

« La crise sanitaire provoquée par les attaques d’Israël pourrait être in fine plus meurtrière que les bombes », a souligné le quotidien Le Monde le 2 février dernier.

Tout porte à croire que dans les circonstances actuelles, l’ampleur de la tragédie ne fera, hélas, que s’accentuer.

1. Écoutez la balado d’Ezra Klein (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue