Dernièrement, dans la boutique d’une enseigne internationale de prêt-à-porter du centre-ville de Montréal, j’ai interagi avec deux vendeuses anglophones. Lorsque la troisième a baragouiné en français, j’ai eu comme une émotion. On parle donc encore français rue Sainte-Catherine ! Mais je me méfie des impressions. Je veux des faits.

Heureusement, cette impression d’être étrangère chez soi, de se sentir minoritaire, devrait bientôt finir. La mairesse Plante, dans son plan « Agir pour l’avenir du centre-ville de Montréal », misera sur le Quartier latin et ses institutions, l’UQAM et BAnQ. Pour mettre de l’avant son identité, elle l’a baptisé le « quartier de la francophonie ».

L’affaire a immédiatement soulevé un tollé. Mais quelle est cette mentalité folklorico-assiégée ? Y a-t-il un quartier espagnol à Madrid, une Petite Italie à Rome ? Ceux qui prophétisaient une louisianisation du français avaient-ils raison ? Le « quartier de la francophonie » sera-t-il notre Vieux Carré, comme à La Nouvelle-Orléans ?

Comment décrire l’attitude de Valérie Plante ? Est-ce une histoire de mentalité de colonisée, du mépris auto-infligé, de l’aveuglement jovialiste ? J’hésite entre la maladresse pathétique et la déconnexion.

Car le français, au fil des recensements, perd de l’importance dans l’île et jusque dans les banlieues. Au recensement de 2021, 48,3 % des Montréalais et 77,3 % des répondants en banlieue déclaraient parler français à la maison, des chiffres en baisse constante. Parce que les familles francophones s’établissent désormais en deuxième ou en troisième couronne, parce que le Québec, et au premier chef Montréal, reçoit une immigration massive qui parle peu le français et qui peinera de plus en plus à le faire, entourée de non-francophones de plus en plus nombreux. Les nouveaux arrivants francophones ne font pas le poids. Nous vivons un repli territorial. Les francos abandonnent Montréal comme lieu de vie. Mais qu’à cela ne tienne ; nous reviendrons, nostalgiques, visiter le Village francophone de Séraphin, ben chauds, le samedi soir…

Il va bien falloir un jour libérer le débat sur la survie du français à Montréal de sa charge émotive et le nourrir de chiffres et de faits. L’immigration n’est ni un cadeau, ni une menace, ni un ressenti. Elle est surtout une donnée. Le Québec a accueilli 46 % des demandeurs d’asile au Canada en 2023, et Montréal agit comme un aimant. Comme presque toutes les grandes villes.

Mais là où Montréal est différent, c’est qu’il est la métropole d’une nation francophone noyée dans un continent anglophone. Cela mérite d’être pris en considération. Sans émotions. Juste parce que les particularités culturelles importent : elles enrichissent le monde. Certes, la francisation s’opère en partie à la deuxième génération d’immigrants, grâce à l’école. Mais la loi 101 s’arrête aux portes du cégep. Et la première génération, très nombreuse, est laissée trop facilement à elle-même. Et à Montréal, on a ces temps-ci de moins en moins de raisons de se donner la peine de socialiser en français.

Il faut aussi parler de notre démission tranquille, à nous, les francophones. Nous qui parlons et écrivons notre langue de plus en plus mal, nous qui sommes biberonnés à la culture anglophone, qui ignorons (ou dénigrons) notre propre culture. Nous qui démissionnons progressivement par paresse, conformisme, ou même par snobisme.

Regardons-nous aller un peu, avant de blâmer unilatéralement les nouveaux venus.

Le cœur de Montréal ne bat plus en français. Il ne bat plus pour le français. Alors que l’idéologie trudeauiste veut que toutes les cultures soient également chéries et célébrées, le cœur de la métropole, celui qui lui donne sa saveur unique, s’éteint à petit feu, sous un mélange dangereux. Celui de notre indifférence, d’intentions médisantes de ceux qui ne croient pas au recul du français, et d’initiatives carnavalesques avec sculptures d’animaux joyeux, et qui sait, des trompettes louisianaises, histoire de bien marquer son enterrement public…

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Des enseignes rue Saint-Denis, dans le Quartier latin

Le fossé se creuse davantage chaque jour entre Montréal et le reste du Québec. Il a toujours existé. Les valeurs, les modes de vie sont différents entre métropoles et régions partout dans le monde. Mais la question de la part du français qui s’amenuise caractérise et teinte le fossé qui nous divise.

Je suis très souvent en désaccord avec le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet. Mais il a cette fois visé juste en parlant de décrochage pour nommer ce qui se passait entre Montréal et le reste du Québec.

Et le Québec, ostracisant Montréal l’impur, s’empêche de comprendre que la métropole est une vitrine de ce qu’il pourrait devenir. Le recul du français a pour vocation de ne pas demeurer contenu à Montréal, à long terme.

Nous faisons face à un enjeu de taille. Je ne sais pas quelle en sera l’issue, mais il faut cesser de se fier au ressenti et mesurer les choses, entreprendre des actions raisonnées. Créer un « quartier de la francophonie » n’en fait pas partie. C’est comme si on avait fait un bond de 30 ans dans l’avenir et que le français relevait déjà du folklore.

Et tout le monde sait qu’il faut se méfier des prophéties autoréalisatrices…

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