Chaque année, des mots nouveaux apparaissent au dictionnaire, qui témoignent non pas des 12 mois écoulés, mais de l’air du temps. Car on les imagine bien, ces comités chargés de traquer les mots, tatillons, soupesant le pour et le contre, comparant le poids des mots.

En fait, les mots autorisés cette année sont déjà dans notre vocabulaire depuis une demi-décennie : mégenrer, complosphère, ghoster, pour n’évoquer que Le Petit Robert. Ceux qui m’intéressent le plus sont ceux qui se mettent à percoler dans les médias, les conversations, les discours des autorités, jusqu’à faire boule de neige. Ils s’immiscent dans nos bulletins de nouvelles, nos émissions, nos discussions, tombés du ciel un jour et incontournables la semaine suivante. Ils esquissent pourtant un polaroïd, une constellation : celui de nos obsessions, de nos craintes, de nos préoccupations réelles de 2023.

Voici, en vrac, une quinzaine de ces mots et expressions qui ont circonscrit, à mon avis, les contours de l’année écoulée.

Débat : genre télévisuel mort-né, au Québec. Coquetterie sémantique de société qui carbure au consensus mou. Épisodiquement, on tente de le ressusciter. Stéphan Bureau fut le plus récent sacrifié sur son autel. À ne pas confondre avec le similidébat – obstination sur le mode sportif entre commentateurs spécialistes à la fois de la guerre Israël-Hamas, de la mobilité et des Cowboys Fringants.

Vulnérable : nouvel attribut du monde actuel. Par exemple : clientèle, collectivité, enfants, aînés vulnérables. La vulnérabilité peut être économique, sociale, familiale, psychologique, éducationnelle. Elle n’a pas de limites. Elle a le dos large. Tout ce qui est étiqueté vulnérable dispose d’associations, de spécialistes dévoués, de budgets débloqués. La vulnérabilité est dans la même catégorie sémantique que la fragilité, et flirte un brin avec la victimologie.

Inflation : mouvement économique par lequel les banques alimentaires connaissent un boom de croissance sans précédent, pendant que les épiciers sont interloqués devant l’ampleur de leurs profits.

Dans le fond : tic langagier qui envahit tout, propulsé par les milléniaux, mais pas que. Manière d’annoncer qu’on va traiter le sujet de manière superficielle.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jadis quêteux, puis sans-abri, SDF, itinérant, il ou elle est aujourd’hui une personne en situation d’itinérance.

Situation d’itinérance : extraordinaire capteur de l’air du temps. Jadis quêteux, puis sans-abri, SDF, itinérant, il ou elle est aujourd’hui une personne en situation d’itinérance. On mesure la progression de la technicisation de la question et du positivisme bureaucratique contenu dans l’expression. C’est temporaire, des programmes et des mesures adéquates vont régler le problème, même si le nombre desdites personnes explose à la grandeur du territoire. Le problème n’est pas la victime de l’itinérance, mais le système. Situation d’itinérance sonne comme un dossier à l’étude à une table de concertation, l’objet d’un comité quadripartite. Après, on s’étonne qu’on interdise les bibliothèques aux individus qui « sentent »Normal : on ne parle plus d’êtres humains à accepter, mais de « personnes en situation d’itinérance ». La job de déshumanisation a été faite.

Procrastination : synonyme d’écologie ou d’action concrète contre les changements climatiques.

Gratitude : « Je dis merci à la vie ! J’accepte ce qu’elle me donne ! » Petite sœur un peu hypocrite de la bienveillance.

Ça l’a : locution populaire amplement répandue, mais qui a fait en 2023 son entrée officielle dans les bulletins de nouvelles et les émissions d’information. Il s’agit d’une répétition qui donne à penser que les masses sont dures de comprenure. « Ça a l’air » est trop sec, le « ça l’a » plus souple, plus coulant, plus mou, donc, plus de chez nous. Dans la même famille sémantique que le tu-tu. Par exemple : « Tu vas-tu le dire, que ça l’a l’air fou ? »

Toxique : souvent accolé aux mots climat et masculinité. Devenu une expression intouchable, qu’on ne remet pas en question. Où commence la toxicité, jusqu’où s’étend-elle ? La toxicité est un marqueur idéologique qui diabolise tout ce qu’il qualifie. Une fois qu’une chose est dite toxique, elle est difficilement décontaminable.

Flexibilité : contorsion que l’on demande à quelqu’un qui est déjà en génuflexion. On en exige beaucoup des travailleurs de la santé. Aussi appelée « souplesse ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Mobilité : mot embourgeoisé pour parler du trafic, terme honni qui sent le gaz et le cône orange.

Mobilité : concept très stable, voire immobile. Mot embourgeoisé pour parler du trafic, terme honni qui sent le gaz et le cône orange. Ne veut rien dire tout seul : en 2023, toute mobilité se doit d’être durable. C’est la vertu faite piste cyclable.

Authentique : plus vrai que vrai. À l’ère des fake news, de ChatGPT, du « faux-mage », des imitations vertueuses comme des pastiches illégaux, l’authenticité est rare, et d’autant plus glorifiée. Authentique sonne mieux que « vrai ». C’est un certificat de crédibilité, une garantie de probité. L’authenticité est par ailleurs souvent autoproclamée…

Télétravail : temps que passe un travailleur à la maison à trouver de nouvelles définitions de la productivité. Responsable de la hausse du nombre de recherches sur la signification du mot procrastination.

Gros : pas nouveau, mais il s’est résolument incrusté dans le langage. Gros enjeux, dossier, grosse soirée, décorations, problématiques. Autant la grossophobie règne, autant « gros » tue tous ses synonymes : important, prioritaire, grand, majeur, sérieux, etc. Plus un dossier est gros, plus on sent qu’on tournera les coins ronds. Gros est aussi une salutation familière dans le milieu « ODesque ».

Et finissons avec Noël : début officieux de l’hiver. Certains clament son nom avec militantisme, d’autres soutiennent qu’on leur interdit de le dire. Ce sont les enfants qui ont raison : Noël est un marqueur magique du temps.

Je vous le souhaite doux, neigeux, magique, rempli de partage et de beauté.

On se retrouve en janvier. Joyeux Noël !

Au fait, vous, quels sont VOS mots de 2023 ?

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