Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité.

À quoi sert l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) ? Et surtout, qu’est-ce que cet Office a changé dans la vie des Montréalais depuis sa création, en 2002 ?

C’est la question qui m’obsède depuis que Le Journal de Montréal a exposé les dépenses de ses dirigeants, qui comprennent de nombreux repas au restaurant et beaucoup de voyages à l’étranger. Des dépenses légales, mais néanmoins exagérées. Et que les dirigeants de l’OCPM justifient en plaidant que l’organisme est un modèle qui inspire plusieurs villes dans le monde.

Toute cette affaire m’a menée à me demander si les recommandations de l’Office avaient un impact positif sur la vie des Montréalais depuis sa création.

La réponse : difficile à dire. Très difficile, même.

J’en ai parlé avec Mario Gauthier, professeur du département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais. Avec deux autres professeurs membres du réseau de recherche Villes Régions Monde, il a organisé un colloque pour les 20 ans de l’OCPM l’an dernier.

Le professeur Gauthier me fait un petit rappel historique : à la suite de plusieurs revendications issues de mouvements populaires à Montréal, l’administration de Jean Doré s’était inspirée du modèle du BAPE (enquête-opinion-rapport) pour créer le Bureau de consultation de Montréal en 1989. C’est d’ailleurs un ancien commissaire du BAPE, Luc Ouimet, qui l’a présidé jusqu’à son abolition par l’administration Bourque, en 1994. Cinq ans plus tard, une commission indépendante présidée par l’ex-ministre libéral Gérald Tremblay (qui allait devenir maire de la métropole deux ans plus tard) jette les bases de l’OCPM dont le statut sera enchâssé dans la Charte de Montréal, le plaçant ainsi à l’abri des aléas politiques.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

C’est Gérald Tremblay qui a jeté les bases de l’OCPM en 1999, soit à peu près deux ans avant de devenir maire de Montréal.

C’est vrai, m’assure Mario Gauthier, que le modèle de l’OCPM a inspiré d’autres villes : Longueuil, par exemple, a créé son propre Office de participation publique il y a un an. Gatineau et Sherbrooke ont également étudié le modèle de Montréal.

À l’international, la France s’est inspirée de l’OCPM pour créer sa Commission nationale du débat public. Le modèle montréalais a ceci d’intéressant qu’il peut bonifier un projet en amont, avant sa réalisation. En théorie du moins… En pratique, c’est autre chose.

En effet, le professeur Gauthier note qu’il y a peu de recherche ou de suivi à l’interne pour documenter l’impact concret du travail de l’Office.

On a essayé de documenter les suivis des recommandations de l’Office, mais on n’a pas été capables.

Mario Gauthier, professeur au département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais

Le chercheur ajoute que l’ancienne directrice de l’OCPM, Dominique Ollivier, avait elle-même soulevé ce problème dans ses derniers rapports annuels. « Il n’y a pas de travail réflexif à l’intérieur de l’Office, pas de chercheurs indépendants qui se penchent sur le sujet », souligne M. Gauthier.

En d’autres mots, 20 ans après sa création, l’OCPM a du mal à montrer s’il a eu un impact…

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Après avoir consulté 10 000 citoyens, en 2019, l’OCPM recommandait de maintenir « la circulation automobile sur l’ensemble de l’axe » Remembrance–Camillien-Houde, mais de le sécuriser. Or, la Ville de Montréal a annoncé en septembre dernier son intention de bannir la circulation automobile sur la voie Camillien-Houde.

Des conclusions ignorées

En fait, il est plus facile de trouver des cas où les opinions des Montréalais recueillies lors de consultations de l’OCPM ont été ignorées que d’exemples où leur opinion a fait une différence : pensons à la voie Camillien-Houde ou au quartier Griffintown. Dans les deux cas, le rapport de l’Office a été rangé sur une tablette et les élus ont fait à leur tête sans tenir compte de ses recommandations…

La professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM Danielle Pilette connaît les dossiers de consultation publique comme le fond de sa poche. Elle m’a cité un exemple – UN SEUL ! – où l’Office a fait une vraie différence : un rapport sur un projet de densification dans Pierrefonds-Ouest en 2017, sous l’administration de Denis Coderre. « Les gens s’opposaient à la densification et le projet a été abandonné, m’explique-t-elle. Il a fallu revoir complètement la formulation et inclure la protection de certains milieux. »

La professeure Pilette rappelle que rien n’oblige le conseil municipal à considérer les recommandations de l’OCPM.

Aux yeux de l’experte, il semble très clair qu’en général, le travail de l’OCPM ne fait pas une réelle différence.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

L’OCPM a mené plusieurs consultations sur le quartier Griffintown.

« Moi, je n’ai jamais accordé d’importance à l’Office, lance-t-elle. Ils viennent dédoubler le travail des fonctionnaires. Il y a déjà des urbanistes au service d’urbanisme et d’habitation qui font des recommandations à la Ville. Le problème, c’est qu’ils ne les communiquent pas à la population. Il y a de leur part une absence de transparence et de communication qui est désolante, et c’est là-dessus qu’on devrait mettre les efforts même si à la fin, on sait bien que les élus vont prendre des décisions en fonction de leurs intérêts. »

Une ancienne commissaire de l’OCPM m’a déjà dit : “L’Office, c’est un organisme de grogne populaire. Les gens viennent se défouler et poser des questions, et nous, on fait un grand rapport avec ça…”

Danielle Pilette, professeure du département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM

Bref, les factures de soupers d’huîtres à Paris et de voyages en classe affaires frappent l’imaginaire.

Mais c’est tout aussi grave, à mon avis, de faire croire à la population qu’on la consulte et que son opinion compte quand, dans les faits, ce n’est pas si vrai.

Il est plus que temps de mettre le holà aux dépenses extravagantes de cet organisme. Et si l’OCPM est incapable de démontrer que son travail a concrètement amélioré la vie des Montréalais en bonifiant des projets soumis à sa consultation, si la Ville tablette en plus ses rapports, il serait grand temps de se questionner sur sa pertinence.

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