Le soccer réserve une grande humiliation à celui qui fait l’erreur d’envoyer le ballon dans son propre but. Impossible de cacher son erreur, la feuille de match créditera du but le fautif, avec la mention « contre son camp ».

C’est exactement ce qu’a fait le premier ministre Justin Trudeau en décidant d’exempter de tarification du carbone ceux qui chauffent au mazout, en excluant les autres formes d’énergie. En fait, on pourrait dire qu’il a envoyé deux ballons dans son propre but : il a affaibli l’ensemble de son programme environnemental et il a affaibli son leadership politique.

En voulant régler un problème essentiellement local, M. Trudeau s’est retrouvé avec une crise nationale et, pour faire bonne mesure, il a réussi à susciter un regain des tensions avec les gouvernements provinciaux.

Tout cela est trop fortement lié aux sondages pour pouvoir prétendre le contraire. Depuis quelques mois déjà, les sondages donnent une avance aux conservateurs de Pierre Poilievre, même dans les régions où les libéraux ont presque tous les sièges, comme dans les provinces de l’Atlantique.

L’impopularité de la tarification du carbone y est telle que les libéraux pourraient bien perdre plus de la moitié des 24 sièges (sur 32) qu’ils détiennent dans la région.

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On utilise le mazout un peu partout au Canada, mais surtout dans les provinces de l’Atlantique.

On utilise le mazout un peu partout au Canada, mais surtout dans les provinces de l’Atlantique. D’où l’exemption accordée à cette forme d’énergie. Mais l’économie pour un ménage des provinces de l’Atlantique sera d’au plus 250 $ pour cet hiver, ce qui n’est pas assez pour compenser l’augmentation des prix du combustible.

Cela dit, la mesure ne passe pas du tout ailleurs au pays. En Saskatchewan, par exemple, où près de neuf foyers sur dix chauffent au gaz naturel. Un combustible fossile, oui, mais beaucoup moins polluant que le mazout. Si bien que le premier ministre Scott Moe a annoncé, lundi, qu’il cesserait tout simplement de percevoir la taxe sur le carbone si le fédéral n’en exemptait pas aussi le gaz naturel.

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Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a annoncé lundi qu’il cesserait tout simplement de percevoir la taxe sur le carbone si le fédéral n’en exemptait pas aussi le gaz naturel.

Sa collègue de l’Alberta, Danielle Smith, affirmait pour sa part qu’elle était « dérangée » de voir qu’une exception ne pouvait être envisagée pour sa province. Plusieurs premiers ministres ont aussi parlé d’injustice. Et, bien franchement, il est difficile de les blâmer.

Donc, à partir de maintenant, à peu près tout le monde va exiger une exemption. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de gens, surtout à droite sur l’échiquier politique, pensent que la tarification du carbone est, pratiquement, déjà morte.

L’exception pour le mazout vient aussi prouver que l’un des grands principes de cette politique ne fonctionne pas. On a cru qu’augmenter le coût de l’énergie allait encourager les citoyens à se doter de systèmes de chauffage plus performants. Mais pour beaucoup de citoyens, le coût d’une thermopompe reste bien trop élevé pour les inciter à changer.

Il y a bien un programme d’aide à l’achat de thermopompes dans les cartons, mais il exige une contribution des provinces, dont l’enthousiasme est plutôt tiède.

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« La prochaine étape, a déclaré le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, c’est de regarder cette politique dans son entièreté parce que, pour l’instant, elle ne fonctionne pas. »

C’est donc tout l’équilibre de la politique de lutte contre les changements climatiques qui est remis en question. Comme a dit le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, qui ne cache pas son intérêt partisan dans ce dossier : « La prochaine étape, c’est de regarder cette politique dans son entièreté parce que, pour l’instant, elle ne fonctionne pas. »

Mais le problème a également un aspect très politique qui, nécessairement, va remettre en question le jugement du premier ministre lui-même. Il n’y a pas vraiment de bénéfice politique à faire en partie ce que Pierre Poilievre propose de faire en totalité. C’est pourtant ce qu’a fait M. Trudeau. Si on peut faire des exceptions pour certains, on peut en faire pour d’autres.

Avec le temps, la lutte contre les changements climatiques est devenue l’une des signatures de M. Trudeau et du gouvernement libéral. Ce n’est pas pour rien que le Parti vert a été marginalisé : un parti de gouvernement était en train d’appliquer une partie importante de son programme.

Avec le recul de M. Trudeau, les électeurs préoccupés par les questions environnementales seront en droit de se demander si les convictions écologiques du gouvernement n’étaient que de la frime électoraliste.

Il y a également une question très personnelle sur le leadership de M. Trudeau. La majorité de ses ministres lui auraient indiqué qu’ils n’approuvaient pas sa décision, mais il ne les a pas écoutés.

Le week-end dernier, Steven Guilbeault a affirmé à l’émission Les coulisses du pouvoir qu’il n’y aurait pas d’autres exceptions « tant qu[’il] ser[ait] ministre de l’Environnement ». Difficile d’avoir une autre image en tête que celle d’un ministre qui a déjà une main sur la poignée de porte.

Mais depuis quelques jours, celui qui semble se rapprocher de la porte, c’est le premier ministre lui-même.

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