« Pourquoi les hôpitaux doivent-ils encore émettre leur propre carte d’hôpital alors qu’on possède une carte d’assurance maladie ? » –Stéphane S.

Ah, les cartes d’hôpital ! Fouillez chez vous et vous en trouverez certainement toute une collection. Chez moi, celles de la famille reposent pêle-mêle dans le bock métallique qui m’a été remis quand j’ai terminé mes études à Polytechnique Montréal. (Oui, j’y avais d’abord vidé la bière ayant servi à célébrer mon diplôme.)

Le sujet est moins anecdotique qu’il n’y paraît. Les cartes d’hôpital sont en effet un symptôme de la désuétude de notre réseau de la santé, de sa fragmentation et de la difficulté à y faire circuler l’information.

Des maux auxquels tente de s’attaquer le ministre de la Santé, Christian Dubé, avec notamment l’adoption à venir du dossier santé numérique. À Québec, on nous annonce d’ailleurs que les cartes d’hôpital sont appelées à disparaître dans la foulée de la modernisation du réseau.

Disons qu’on ne se mettra pas à genoux pour leur chanter « Ne me quitte pas » quand elles s’effaceront. C’est plutôt le classique « Na na na na hey hey-ey goodbye », prisé des amateurs de sport, qui risque alors de retentir.

À quoi sert une carte d’hôpital ? Voici ce que j’ai compris des explications qu’on m’a fournies.

« Nos systèmes d’information actuels nécessitent un numéro de dossier, propre à notre établissement. Ce numéro de dossier est généré avec la création de la carte d’hôpital », explique Jean-Nicolas Aubé, porte-parole au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Mais pourquoi ne pas générer ce numéro de dossier à partir de la carte d’assurance maladie ? À cette question, la réponse la plus juste me semble être : parce que ça s’est fait comme ça dans le passé et que c’est devenu difficile à changer.

« Ces cartes ont été créées historiquement parce que chaque hôpital avait sa façon de procéder, notamment avec les dossiers papier qui sont, par la suite, devenus électroniques. L’objectif des cartes d’hôpital était de diminuer le temps requis pour identifier chaque document du dossier papier », m’explique-t-on au ministère de la Santé et des Services sociaux.

Les cartes servent aussi à « plaquer/identifier » la documentation papier qui accompagne le patient à l’hôpital, m’explique Jean-Nicolas Aubé. Si vous regardez une carte d’hôpital, vous constaterez en effet que les informations y sont inscrites en relief. En pressant du papier contre la carte, on peut y transférer les renseignements.

Il est permis de penser qu’une telle technologie impressionnerait un moine copiste du Moyen Âge. Pour un citoyen québécois de 2023, c’est moins sûr.

Mais le plus grand problème est que puisque chaque hôpital a ses propres cartes et son propre système de numéros, les informations restent prisonnières d’un établissement et circulent mal dans le réseau. Ça veut dire que votre dossier médical est aujourd’hui éparpillé entre les cliniques, hôpitaux et cabinets de professionnels de la santé que vous avez visités au cours de votre vie.

Chaque fois qu’un nouvel intervenant entre dans votre dossier, il ne voit donc qu’une portion de votre historique médical, comme un automobiliste qui tenterait de conduire en n’ayant dégivré qu’une partie de son pare-brise.

Pour y voir plus clair et savoir par exemple quelles interventions vous avez déjà subies, cet intervenant doit multiplier les requêtes, envoyer et recevoir des fax (un autre signe patent de désuétude…). En plus d’engendrer une colossale perte de temps, cela nuit à la qualité des soins.

S’il y a une bonne nouvelle là-dedans, c’est que le ministre de la Santé, Christian Dubé, est conscient du problème. La loi 5, adoptée au printemps, vise à « simplifier la circulation […] des renseignements de façon à ce qu’ils suivent les personnes qu’ils concernent dans leur parcours de soins ».

Le dossier santé numérique, qui remplacera le dossier fragmenté actuel, sera aussi une étape importante qui pourrait sonner le glas des cartes d’hôpital. Il sera d’abord déployé en projets pilotes dans les CIUSSS de Mauricie–Centre-du-Québec et du Nord-de-l’île-de-Montréal.

« L’authentification unique des usagers et des intervenants ouvre la porte à la disparition des cartes d’hôpital pour tout ce qui est inclus dans le dossier santé numérique », me dit Marie-Claude Lacasse, porte-parole au ministère de la Santé.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Au CHUM, à Montréal, il n’y a déjà plus de cartes d’hôpital. L’identification des patients s’y fait avec la carte d’assurance maladie.

Preuve qu’il faut garder espoir, même devant le monstre qu’est notre réseau de la santé : au CHUM, à Montréal, il n’y a plus de cartes d’hôpital !

« L’ensemble des systèmes a été configuré avec la carte d’assurance maladie et nous sommes capables de lier le numéro de dossier du patient à sa carte soleil », m’écrit la porte-parole Andrée-Anne Toussaint.

Je vous entends crier : « Alléluia ! »

Il est gênant qu’en 2023, un anachronisme comme la carte d’hôpital soit encore le sésame qui permette d’accéder à des soins. Quant à savoir à quel moment je pourrai vider mon bock des cartes rouges, bleues et bourgogne à l’allure vaguement soviétique qui s’y accumulent, les paris sont ouverts.

Chose certaine, cette date correspondra largement à celle où on pourra affirmer que notre système de santé est enfin entré dans l’ère moderne.

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