« Ah quand j’y retourne, ça m’fait assez mal
Y est tombé une bombe su’a rue principale
Depuis qu’y ont construit le centre d’achats »
– Les Colocs

C’est David contre Goliath, mais c’est surtout la modernité qui affronte le passé.

La modernité, c’est Victoriaville qui tente d’empêcher la Société des alcools du Québec (SAQ) d’appliquer une recette du passé et de déplacer sa succursale du centre-ville vers un centre commercial en périphérie.

Il y a beaucoup à dire sur ce feuilleton : il met en lumière la faiblesse de la toute nouvelle Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire (PNAAT), certaines incohérences de l’État et le courage d’une ville.

Avant d’aller plus loin, rappelons que consolider un centre-ville en y installant des commerces et des institutions dynamiques qui attirent de la clientèle permet de rendre la municipalité plus attirante, de renforcer le tissu économique local, de stimuler le sentiment d’appartenance, de consolider l’offre de transports en commun et de protéger les milieux naturels. C’est un combat qui en vaut la peine et qui concerne toutes les municipalités du Québec.

Des élus courageux

Le conseil municipal prend tous les moyens à sa disposition pour forcer la SAQ à agir dans l’intérêt collectif. Il a déjà réussi à obtenir l’appui de l’Ordre des urbanistes du Québec, du Regroupement des Sociétés de développement commercial du Québec, de l’Union des municipalités du Québec, du syndicat des employés de la SAQ et de Vivre en Ville.

Mieux encore, le conseil municipal a adopté un règlement de zonage⁠1 dont l’objectif est d’« interdire les commerces dont l’usage est uniquement relié à la vente de produits alcoolisés sauf dans les zones composant le centre-ville et le pôle commercial d’envergure régional situé le long du boulevard Arthabaska ». Si le règlement passe le test des tribunaux, il forcerait les deux succursales de la SAQ à Victoriaville à rester où elles sont !

Vraie PNAAT ou pipi de chat ?

Adoptée l’année dernière à la suite d’une impressionnante mobilisation citoyenne sur plus de 15 ans, la PNAAT a généré beaucoup d’espoirs. Sur les principes, elle est assez solide. Au moment de son adoption, tout le monde s’inquiétait de sa mise en œuvre, du fameux lien entre les babines et les bottines.

Un des objectifs (les babines) de la Politique est de donner de la force, partout au Québec, à nos noyaux villageois et à nos centres-villes. Je dirais que c’est même une des raisons de l’existence de cette politique. Pour y arriver, l’État devra donner l’exemple (les bottines), en assurant la présence d’institutions ou encore d’entreprises publiques comme la SAQ dans les centres-villes.

Il y a trois mois, le gouvernement du Québec adoptait en grande pompe un plan de mise en œuvre de la PNAAT, plan qui devait très exactement permettre de ne plus faire l’erreur que la SAQ veut faire.

Et, ça ne s’invente pas, l’annonce du plan de mise en œuvre a été faite… à Victoriaville !

Comme pour démontrer la faiblesse du plan, le président de la SAQ dit ne pas avoir la même interprétation de la PNAAT que la municipalité et affirme être « tenu de répondre à des obligations commerciales ainsi qu’économiques ». C’est exactement ça que la PNAAT devait changer ! Si la politique nationale laisse intacte cette philosophie cancérigène pour toutes les municipalités du Québec, nous pourrons dire que la PNAAT, c’est du pipi de chat.

Incohérences de l’État

Victoriaville est considérée comme un modèle à imiter en matière de relance de centre-ville, un modèle en droite ligne avec les objectifs de la PNAAT. La ville a réussi à faire chuter le taux d’inoccupation des locaux commerciaux du centre-ville de 16 % à 5 % au cours de la dernière année, tout en attirant des centaines de logements, eux aussi au centre-ville. La municipalité a réussi cet exploit grâce notamment à une subvention de 800 000 $ du ministère de l’Économie du Québec !

C’est un superbe cas d’incohérence gouvernementale qui aide d’une main et nuit de l’autre, mais c’est également une belle illustration de l’utilité des villes pour détecter ces mêmes incohérences. Quand les autres gouvernements prendront enfin les villes au sérieux, ils finiront bien par reconnaître le rôle qu’elles peuvent jouer comme creuset, comme lieu de l’intégration de toutes les politiques gouvernementales sur le terrain.

L’exemplarité de l’État

Dans mon quartier de Gatineau (Buckingham), le gouvernement fédéral a déplacé le bureau de poste de l’ancien centre-ville vers une rue commerciale, suivant la même logique toxique que la SAQ à Victoriaville. Des entreprises comme Desjardins, qui devraient défendre des principes, font exactement la même chose, leurs points de service désertent les rues d’ambiance et déménagent dans des ensembles commerciaux.

Faire une promenade au cœur du quartier et en profiter pour passer au bureau de poste, à la caisse ou à la SAQ ne doit pas devenir chose du passé. C’est le contraire du bon sens, c’est la bombe qui tombe sur la rue principale, tirée par notre propre gouvernement, et ça fait mal.

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