Faire un cauchemar à répétition, c’est à la fois insupportable et épuisant.

Parlez-en aux Américains…

La menace de paralysie de l’État fédéral se profile de nouveau à l’horizon. Un shutdown (oui, encore un !) pourrait avoir lieu à partir du 1er octobre.

Ce serait l’équivalent d’un cauchemar pour quelques millions d’employés du gouvernement fédéral qui ne recevraient plus leur paie. Pour la santé de l’économie américaine, aussi.

Et comme d’habitude, ça embêterait des millions d’autres Américains : ceux qui utilisent divers services publics qui seraient affectés d’une façon ou d’une autre. On se souviendra du chaos dans les aéroports du pays en 2019 quand des employés de l’Administration de la sécurité du transport ont décidé de ne pas se présenter au travail.

J’écris « comme d’habitude » parce que c’est exactement ce qui est en train de se passer : ça devient une habitude.

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Une paralysie de l’État embêterait des millions d’Américains. Tous ceux qui utilisent divers services publics seraient affectés d’une façon ou d’une autre.

Les chiffres sont accablants. L’État fédéral a déjà été paralysé par un shutdown plus de 20 fois au cours des cinq dernières décennies. Ces tristes épisodes trouvent leur origine dans une position adoptée au début des années 1980 par le procureur général du pays : il a jugé que les agences fédérales doivent cesser de dépenser si les élus du Congrès américain n’adoptent pas le budget à la date prescrite.

Le plus récent shutdown fut aussi le plus long. Il a duré 35 jours en 2018 et 2019, lorsque Donald Trump cherchait à obtenir du Congrès américain le financement nécessaire pour construire son mur à la frontière du Mexique.

Celui qui a le mieux décrit ce qui se passe ces jours-ci à Washington, à mon avis, est le politicien démocrate du Connecticut, Jim Himes. Selon lui, « le gouvernement le plus puissant du monde se ridiculise et montre au monde qu’il est dirigé par des enfants de maternelle ».

Cette débâcle annoncée n’est pas une surprise. Avec la radicalisation d’une poignée d’élus républicains à la Chambre des représentants du Congrès américain, c’était écrit dans le ciel.

« C’est un tout nouveau concept de personnes qui veulent simplement tout brûler. Ça ne marche pas », a lancé le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, la semaine dernière.

Il ne parlait pas de ses rivaux démocrates.

Il montrait du doigt certains de ses collègues républicains, qui refusent de donner leur aval à l’adoption du budget 2024.

J’ai téléphoné à Antoine Yoshinaka, professeur agrégé au département de science politique de l’Université de l’État de New York à Buffalo, pour obtenir son avis à ce sujet.

Oui, la radicalisation des élus est à la source de ce nouveau fiasco potentiel, dit-il.

Mais il m’a rappelé que la courte majorité des républicains à la Chambre des représentants fait aussi partie du problème.

PHOTO SARAH SILBIGER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le Congrès américain. Il y a actuellement 221 républicains contre 212 démocrates à la Chambre des représentants.

Il y a actuellement 221 républicains contre 212 démocrates dans cette chambre du Congrès américain.

« En temps normal, dans le passé, les républicains avaient une majorité de quelques dizaines de sièges et pouvaient se permettre d’avoir des voix dissidentes. Mais là, ils ne peuvent pas se permettre de perdre plus de quatre votes si les démocrates sont en opposition. Alors ça donne un pouvoir démesuré à cette aile plus extrémiste. »

Si un shutdown devait se produire, ce serait une nouvelle humiliation pour Kevin McCarthy.

Dire qu’en janvier dernier, il avait amadoué les élus républicains les plus radicaux afin de recueillir le nombre de voix requis pour être élu président de la Chambre des représentants. Il avait gagné après 15 tours de scrutin.

Il a signé un pacte avec le diable, mais le problème, c’est que Satan continue de le tourmenter.

Certains pourraient se réjouir en se disant qu’en cas de shutdown, le Parti républicain perdra des plumes dans l’opinion publique.

En se disant, par conséquent, que les démocrates en profiteront peut-être lors des prochaines élections.

Et en se persuadant que ce sera tant mieux, parce que les élus républicains pourraient perdre le contrôle de la Chambre des représentants.

Des adultes (démocrates) pourraient donc à nouveau diriger le gouvernement, pour reprendre la métaphore de Jim Himes.

Mais une lecture à long terme et moins partisane serait plus prudente et plus sage.

Sur le plan de la santé de la démocratie américaine, un nouveau shutdown serait selon moi tout sauf une bonne nouvelle.

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Un shutdown serait une très bonne nouvelle… pour Donald Trump.

Un sondage récent révélait que la menace d’un shutdown a déjà fait chuter la confiance à l’égard du gouvernement de 68 % des Américains.

« Je suis tout à fait d’accord, me dit Antoine Yoshinaka lorsque je lui demande de valider cette analyse. Quand les gens entendent “shutdown du gouvernement”, ça n’aide pas, alors qu’on tente de démontrer au public que nos institutions fonctionnent, que la démocratie peut fonctionner et que même dans une ère très polarisée, on peut réussir à s’entendre et à faire avancer les choses. »

On comprend donc qu’un shutdown serait une très bonne nouvelle… pour Donald Trump. Il utilise la désaffection à l’égard des institutions démocratiques comme carburant depuis son entrée en politique. Quand tout brûle, il se frotte les mains.

C’est une constante : plus la démocratie américaine va mal, plus Donald Trump se porte bien. À un peu plus d’un an du prochain scrutin présidentiel, c’est une équation qu’on aurait tort d’ignorer.

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