Ainsi donc, la manifestation de mercredi dernier à Montréal, où des groupes aux vues divergentes se sont affrontés à propos de l’identité de genre, a conduit le premier ministre François Legault à lancer un appel au calme. Son gouvernement nommera d’ici décembre un comité de sages.

C’était gratiné, la manif en question. Des hordes de libertariens, des fondamentalistes religieux, des amis du Convoi de la Liberté et des excités du masque et des vaccins, tous réunis à l’appel du groupe de pression hyperorganisé 1 Million March 4 Children, qui s’oppose à l’éducation sexuelle des enfants et à ce qu’il appelle « l’endoctrinement ». En face d’eux, les contre-manifestants défendant les droits des LGBTQ+. On voyait, littéralement, les débats extrêmes agitant la société états-unienne se matérialiser dans nos rues.

Il faut, au passage, saluer la sagesse et le réflexe de recul du premier ministre. Prendre de la distance est une solution typiquement québécoise, mais dans les circonstances, pourquoi pas ? Beaucoup de nos concitoyens sont modérés ou néophytes face aux questions de genre. Ils veulent le bien des jeunes (et de tous !), ils sont déroutés, inquiets, mais ouverts. Ils aimeraient se faire une opinion nourrie par la connaissance, la science, la réflexion, loin des discours extrémistes. Mais la parole est confisquée par une droite frénétique, organisée. Les médias ne sont pas en reste, se régalant des expressions les plus spectaculaires de la diversité sexuelle. Il y aurait beaucoup à dire, à réfléchir, à accueillir, dans le calme, sans voyeurisme ni préjugés…

Je remarque que beaucoup de ces nouvelles qui traitent d’identité sexuelle ou de genre tournent autour de la personne des enfants. Les tollés récents qui ont fait se déchirer les chemises nous concernent tous, mais on en fait des enjeux qui deviennent particulièrement instrumentalisés quand ils concernent les enfants. Ça vire à l’obsession.

Rappelons-nous quelques cas récents : la question des toilettes mixtes dans les écoles, la présence de drag queens aux heures du conte à l’intérieur et hors des écoles. L’utilisation de pronoms inclusifs à l’école, la présence d’une enseignante tenant à se faire appeler Mx, l’éducation sexuelle et la question de la dysphorie de genre chez les jeunes.

Ces semaines-ci, ce sont les questions de genre, mais rappelons-nous que les enfants ont été abondamment utilisés lors de la pandémie : pour décrier les vaccins ou être mis en première ligne lors des démonstrations du Convoi de la liberté à Ottawa, utilisés comme bouclier. Les enfants sont utiles lorsqu’il s’agit de nos peurs et de nos idéologies d’adultes. Se pourrait-il qu’ils se retrouvent, sans l’avoir demandé, au cœur de débats qui traduisent, au fond, les obsessions d’adultes ?

Rarement aura-t-on parlé autant des enfants. Nous en faisons les porte-étendards de nos causes, de nos raisons de nous disputer. Faire de la politique et de l’idéologie sur le dos des enfants, est-ce donc cela, se soucier de leur bien, vouloir le meilleur pour eux ? Où nous sommes-nous égarés, en route ?

On ne devrait pas utiliser les enfants. Il faut être à leur écoute, leur fournir les moyens intellectuels d’interroger le monde, leur permettre d’apprendre, de développer leur pensée. En gros, les équiper de bonnes écoles, d’un système d’éducation qui les tire vers le haut.

C’est vraiment fou de voir que pendant que la droite instrumentalise le débat sur les drag queens, que certains détournent l’explication à propos de toilettes non genrées en Abitibi, on ne s’occupe pas de l’essentiel pour le bien des enfants : l’état de l’école publique au Québec. Des écoles dont les morceaux de plafond tombent sur la tête des élèves. Des classes surpeuplées, où les profs sont manquants, mal payés, formés au rabais. Des groupes dysfonctionnels, où des profs se désâment pour intégrer des cas de plus en plus lourds.

Nous sommes collectivement dépassés par la tâche complexe d’enseigner. Nous nous en sommes trop longtemps détournés et avons laissé le système s’écrouler silencieusement. Aujourd’hui, la réalité fait paniquer. Alors, nous sautons sur les épiphénomènes. Sortir la gentille Barbada de son local de contes ou dénoncer de nouvelles toilettes mixtes devient plus important que l’école elle-même…

L’école n’est pas une valeur cardinale dans notre société. Si c’était le cas, nous serions mieux équipés pour détricoter les chimères et les discours des crinqués qui font des enfants les boucs émissaires de leurs peurs. L’idéologie ne devrait pas effacer le bien commun, surtout quand il est question des enfants.

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