Dans le monde du sport, on dit qu’un bon joueur provoque sa chance. En politique, c’est plutôt la malchance qui peut définir une personne.

Peu après son accession à la direction du Parti progressiste-conservateur, Joe Clark avait perdu ses valises lors d’une tournée au Moyen-Orient destinée à montrer qu’il avait l’étoffe d’un chef d’État. Sa crédibilité ne s’en est jamais tout à fait remise.

La panne de l’avion du premier ministre, qui a forcé Justin Trudeau à attendre deux jours en Inde, est un peu du même ordre, alors qu’il doit faire face à la rentrée parlementaire la plus difficile de sa carrière.

À commencer par une réunion de son caucus, cette semaine à London, en Ontario, où ses députés l’attendent de pied ferme après un été désastreux où même un important remaniement ministériel n’a pas réussi à faire remonter le Parti libéral dans les sondages.

Dans le dernier sondage Abacus, publié à la fin août, les conservateurs avaient une avance de 12 points. Ils sont en avance dans toutes les provinces sauf le Québec. Et pour la première fois, il y a plus de Canadiens qui ont une bonne opinion du chef conservateur Pierre Poilievre (36 %) qu’une opinion négative (34 %).

Après un congrès national réussi, M. Poilievre mène la vie heureuse du politicien qui arrive sur la scène au bon moment. Il a non seulement fait un excellent discours, mais son parti ne l’a pas embarrassé avec des résolutions comme il l’avait déjà fait avec un refus de reconnaître l’existence même des changements climatiques.

M. Poilievre a aussi réussi à remplir deux objectifs importants dans son discours de vendredi soir. D’abord, montrer qu’il est – et de loin – le chef du Parti conservateur du Canada qui s’exprime le mieux en français. Et il a aussi montré un respect de la nation québécoise et de ses institutions qui devrait faire taire tous ceux qui pensent qu’un chef conservateur ne peut pas être un allié du Québec.

Encore plus important, il aura laissé au placard un certain populisme de droite qui voulait qu’on congédie le gouverneur de la Banque du Canada, qu’on évite de représenter le Canada au forum de Davos, ou qui voulait qu’on paie ses sandwichs en bitcoins. Ce qui plaisait, tout au plus, à la frange la plus libertarienne de son parti.

Bref, tout est au beau fixe au Parti conservateur, sauf pour un petit détail : les élections ne sont pas pour demain et il reste encore deux ans – et même trois si on se rend à la limite légale de cinq ans – avant les prochaines élections.

L’échéance a son importance.

D’abord, parce que M. Poilievre ne pourra éviter éternellement « les sujets qui fâchent », comme on dit à Paris. Les sujets qu’il a savamment évités dans son discours devant ses partisans. Un jour, il lui faudra bien parler de taxe sur le carbone ou de pipelines.

Mais surtout parce qu’on ne sait pas quelle sera la conjoncture économique dans deux ans. Actuellement, M. Poilievre utilise de façon extrêmement efficace la mauvaise situation économique et le peu de réponses du gouvernement Trudeau.

Mais l’inflation donne des signes d’essoufflement et la situation économique pourrait bien être meilleure d’ici 24 mois, enlevant ainsi à M. Poilievre le sujet qui lui donne actuellement des ailes.

Il sera aussi intéressant de voir quels gains le chef conservateur pourra obtenir auprès des électeurs du Bloc québécois. Parce que c’est une chose d’associer le Bloc à toutes les initiatives gouvernementales qu’il a pu appuyer, mais c’en est une bien différente d’essayer de battre des députés bien implantés dans leur milieu.

D’autant que cette stratégie pourrait se retourner contre les conservateurs. Dans des situations de lutte à trois, on ne sait jamais ce qui pourrait sortir des urnes, y compris des victoires libérales là où on ne les attendait pas.

Actuellement, les sondages au Québec placent les conservateurs au troisième rang, derrière le Bloc québécois et le Parti libéral. Et rappelons que depuis la création du Parti conservateur du Canada, en six élections générales, il n’a jamais réussi à gagner plus d’une douzaine de sièges québécois aux Communes.

Rien n’est donc gagné d’avance pour les conservateurs, mais il reste que l’usure du pouvoir est réelle chez les libéraux. Toujours dans le sondage Abacus, 83 % des personnes interrogées souhaitent un changement de gouvernement et 17 % seulement veulent qu’il soit réélu.

Il n’y a rien qui soit plus énervant pour des députés que de lire des chiffres comme ceux-ci. Jean Chrétien, qui en avait vu d’autres, se moquait d’eux en les traitant de « Nervous Nellies ». Mais M. Chrétien a quand même eu la sagesse de partir après son troisième mandat et de ne pas essayer d’égaler les quatre mandats de Sir Wilfrid Laurier.

Contrairement à l’époque de M. Chrétien, il n’y a pas de successeur incontournable dans le cabinet actuel. Il faudra donc plus que des députés nerveux pour déloger le premier ministre Trudeau.

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