Le dialogue et le débat. Dans cette nouvelle section Dialogue, nous sommes pour. Résolument.

Il existe toutefois des questions qui ne peuvent se trancher en faisant s’affronter des points de vue. Placez un cheval noir dans une pièce, installez six chaises et autant de polémistes autour et demandez-leur de débattre de la couleur du cheval. Celui qui prétend qu’il est blanc aura beau multiplier les effets de toge et récolter les applaudissements du public, le cheval demeurera noir.

Il en va du réchauffement planétaire comme de la couleur des chevaux.

Dimanche dernier, dans un cinéma Guzzo près de chez vous, une poignée de négationnistes du climat ont tenté de convaincre des gens qui leur avaient consacré 91,23 $ et un après-midi de congé que la science du climat est une vaste fumisterie.

La conférence était intitulée « Réchauffement climatique : fraude ou danger réel ? ». Ma collègue Isabelle Hachey en a déjà parlé mardi1.

Le problème avec ce type d’évènement est qu’on ne déterminera pas si la Terre se réchauffe en lançant des formules-chocs sur une scène. Comprendre un système climatique aussi complexe que celui de la Terre nécessite un travail colossal.

Il faut mesurer et suivre l’évolution des températures sur Terre et dans les océans. Comparer les informations recueillies aux données historiques. Modéliser l’influence de nombreuses variables sur le climat.

Quiconque veut contester le vaste savoir déjà accumulé sur ces questions est libre de soumettre ses travaux à la communauté scientifique. Ces derniers seront scrutés, validés ou infirmés.

Ce système de construction de la connaissance n’est peut-être pas parfait, mais c’est le meilleur qu’on ait trouvé. Le déclarer pourri parce qu’il ne montre pas ce qu’on a choisi de croire est beaucoup trop facile.

Il y a donc toutes sortes de questions à se poser face à des conférences où les faits et les coups de gueule sont si allègrement mélangés.

Malgré tout, je suis ressorti dimanche du cinéma Guzzo plutôt… rassuré.

Rassuré, parce que les dommages d’un tel évènement restent limités.

Au Québec, le consensus scientifique sur l’urgence climatique se reflète par un consensus politique. C’est un acquis sous-estimé et sous-utilisé.

Aucun des quatre partis représentés à l’Assemblée nationale ne conteste le réchauffement climatique. Aucun ne conteste le rôle de l’activité humaine sur ce dernier. Et tous disent vouloir agir fermement pour s’attaquer tant aux causes qu’aux conséquences du problème.

Vrai, le Parti conservateur d’Éric Duhaime défend une position différente en prônant notamment l’exploitation du pétrole et du gaz au Québec, mais il reconnaît les changements climatiques. Le parti n’a toutefois jamais réussi à faire élire un seul député.

Cette harmonie politique qui caractérise le Québec n’est pas la norme ailleurs. Au fédéral, les conservateurs de Pierre Poilievre promettent d’abolir la taxe carbone s’ils sont élus. Cela place le gouvernement Trudeau dans une position plus complexe. Et on ne parle pas des États-Unis, où tout un pan du Parti républicain est carrément climatosceptique.

Le consensus québécois est donc aussi rare que précieux. Et il donne une extraordinaire marge de manœuvre au gouvernement Legault. Difficile de penser que la CAQ paierait un prix politique important pour des actions climatiques fortes. Au contraire ! Un sondage CROP publié au printemps montrait que 77 % des Québécois sont d’accord pour dire que « le gouvernement n’en fait pas assez pour l’environnement »2.

Cet espace politique pour l’action – qu’on pourrait qualifier d’espace vert ! – pourrait faire du Québec un pionnier de la lutte contre l’urgence climatique s’il était pleinement mis à profit. On peut même penser que l’unanimité politique pourrait conduire à des initiatives transpartisanes réunissant tous les partis, comme on l’a vu avec l’aide médicale à mourir.

Certains diront que le consensus politique est un signe de pensée unique. C’est faux. Il ne fait que refléter l’état des connaissances scientifiques. Il existe ensuite tout un espace de débat pour discuter des mesures à mettre en place pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Faut-il taxer les véhicules les plus polluants comme le propose Québec solidaire ? Ou miser gros sur l’hydrogène vert, comme le prône le Parti libéral du Québec ? De cela, on peut – et on doit ! – débattre.

Le consensus politique ne signifie pas qu’il faut ignorer les voix minoritaires qui contestent encore l’urgence climatique, encore moins les ridiculiser. La meilleure arme contre la désinformation demeure la pédagogie, même s’il faut bien admettre que ça peut être parfois confrontant et que ça ne fonctionne pas toujours.

Philippe Gachon, expert en hydroclimatologie à l’UQAM, l’a compris, lui qui a eu le courage et la patience de répondre aux arguments des négationnistes lors de la conférence de dimanche dernier. Par moments, il avait l’air d’un phare en pleine tempête.

Le consensus ne veut pas non plus dire qu’il faut ignorer ceux qui se sentent bousculés par les mesures déployées pour combattre le dérèglement du climat. On ne dira jamais assez que la transition vers une société à faibles émissions de carbone doit se faire de façon juste et ne laisser personne derrière.

Reconnaître les faits. Débattre des moyens. Puis déployer des actions et dialoguer pour embarquer tout le monde : voilà à quoi pourrait ressembler un vrai leadership sur l’urgence climatique. Les ingrédients existent au Québec pour le faire. Il est temps d’en profiter pleinement.

1. Lisez la chronique « Débattre avec des complotistes » 2. Lisez l’article du Devoir Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue