Le Mouvement Desjardins compte 46 000 employés. C’est l’équivalent de la population de Rimouski ou de Shawinigan. Parmi ces employés, il y a sans doute des gens gentils, bourrus, méfiants, confiants, épanouis, frustrés, honnêtes ou malhonnêtes.

De quel groupe faisait partie le gars qui a volé les renseignements personnels de 2,9 millions de membres, dont 173 000 entreprises  ? C’est une question qui m’obsède depuis jeudi. Était-il au départ un homme honnête qui s’est laissé corrompre avec le temps ? Ou est-il un bandit d’expérience qui a pris le temps de préparer son coup ? L’enquête de la police finira par nous le dire.

Ce qui est sûr, c’est que lorsque tu as 46 000 employés, tu sais que tu as affaire à toutes sortes de gens. Et qu’il ne faut qu’une seule personne « malveillante », comme a dit jeudi le président du Mouvement Desjardins, Guy Cormier, pour créer une tragédie. Car s’il n’y a pas de sang ou de gratte-ciel effondrés, le vol massif de données dont est victime Desjardins est une tragédie.

Desjardins a resserré les mesures de sécurité parmi ses employés il y a quelques mois seulement. Selon la direction, c’était avant que l’on découvre cette fraude. Pourtant, ce n’est pas d’hier que les fraudes informatiques et le vol d’identité frappent les grandes institutions. J’avoue que ça me renverse.

Je fais partie de la génération qui a appris très jeune les principes de l’épargne et de la confiance grâce à Desjardins. Chaque semaine, dans les classes des écoles primaires, on donnait à Mme Gauthier le pactole amassé lors de notre anniversaire ou offert par la fée des dents afin qu’elle l’inscrive pour nous dans notre petit carnet.

Près de cinquante ans plus tard, Mme Gauthier s’est noyée dans une mer de 46 000 employés à qui on continue de faire confiance. Et là, alors que la cybercriminalité ne cesse de grandir partout dans le monde, arrive un vol de données de cette ampleur.

Depuis hier, on ne cesse de parler de crise de confiance envers Desjardins. On peut fort bien imaginer la cellule qui a été créée pour remédier à la situation. Plusieurs modeleurs et remodeleurs d’image de Montréal ont dû être appelés en renfort.

Mais s’il y a une crise de confiance qui a été déclenchée avec cette affaire, c’est bien celle envers l’ensemble du monde informatique.

Tous les jours, en achetant des vêtements, des bouquins, de la musique, des films, des billets de spectacle, en payant des comptes d’électricité, de téléphonie ou de câblodistribution, on s’expose au vol de renseignements.

Chaque fois qu’une fraude informatique survient, c’est à cela que nous sommes confrontés, à cette confiance ébranlée envers tout un système dont nous dépendons presque entièrement. Il n’y a pas un mois qui passe sans qu’une affaire de vol de données éclate.

Et chaque fois qu’un cas apparaît dans les médias, notre sentiment d’insécurité et celui, encore plus indéfinissable, qui frappe les gens directement touchés par ce vol augmentent d’un cran.

Vous êtes-vous déjà fait cambrioler ? Si oui, vous connaissez cette curieuse sensation qui nous hante dans les mois, sinon les années, qui suivent le passage des voleurs. Savoir que des étrangers ont eu accès à l’intimité de notre intimité est quelque chose de dérangeant.

Les gens qui se font voler des renseignements personnels vivent ce même état d’insécurité. Un numéro d’assurance sociale n’est qu’une série de chiffres, mais ce numéro n’appartient qu’à nous. Il nous permet de faire des gestes dont nous sommes les décideurs. Imaginer que ce numéro est entre les mains d’un étranger « malveillant » fait mal dormir.

Il faudrait aussi parler de la perte de confiance qui s’installe à l’intérieur des entreprises. L’employé qui a été arrêté par la police aurait abusé de la confiance de certains collègues chez Desjardins afin d’avoir accès à des bases de données. C’est ainsi qu’il aurait réussi à réunir les renseignements d’un aussi grand nombre de particuliers et d’entreprises.

Je pense aujourd’hui aux employés de Desjardins qui ont blagué avec ce gars, qui ont dîné en sa compagnie, qui ont dansé la Macarena avec lui au party de Noël et qui ont facilité, sans s’en rendre compte, sa terrible machination.

Nul doute que cette affaire va changer considérablement la manière de faire au sein de Desjardins et dans d’autres entreprises.

Nous avons été nombreux hier à aller consulter notre compte (sur l’ordinateur évidemment) afin de voir si des transactions douteuses avaient été enregistrées ou si un message de Desjardins nous annonçait que nous faisons partie des 2,9 millions de membres touchés par ce vol.

Certains ont poussé un soupir de soulagement, d’autres se sont immédiatement enregistrés au Service de surveillance du dossier de crédit offert gratuitement pendant cinq ans par Desjardins (l’institution s’est ravisée après avoir annoncé jeudi que cette surveillance serait de douze mois). Pas suffisant, leur ont dit les experts…

Plus tard dans la journée, certains médias ont dit qu’il fallait également faire attention aux messages frauduleux qu’on pourrait maintenant recevoir par courriel. En effet, de faux courriels de Desjardins vous demandant d’entrer des renseignements personnels afin de vous protéger contre le vol d’identité dont vous avez peut-être été victimes pourraient circuler.

En d’autres mots, il y a des fraudeurs qui pourraient profiter de ce vol d’identité pour frauder de leur côté.

Mme Gauthier aurait sans doute du mal à comprendre tout ça !