L’artiste Marc Séguin propose son regard sur l’actualité et sur le monde.

Ça fait partie des plus beaux souvenirs. D’abord pour le goût qui rappelle l’enfance, mais aussi parce que c’est l’une des premières recettes que j’ai préparées. Ça et le Kraft Dinner. On jouait dehors tard et lorsque ma mère faisait des carrés aux Rice Krispies, l’odeur à elle seule faisait rentrer. C’était avant les écrans, quoique les jeux vidéo prenaient déjà aussi beaucoup de temps. Toujours est-il que c’était suffisant pour cesser un sport ou une petite guerre ou descendre d’un arbre, et venir se bourrer la face. Lorsqu’ils étaient encore chauds, c’était encore meilleur.

Les pivoines, les phlox, les tomates étaient en fleur, il y a 10 jours, fin mai. De mémoire, jamais vu ça aussi tôt. C’est heureux, mais on se demande s’il restera des plantes qui voudront encore fleurir en août. Tout est un peu d’avance en cette fin de printemps. Les feuilles de même : laitues, kale, épinards, roquette. Et la vermine aussi. C’est une des lois de la prospérité : il y a un revers à tout.

PHOTO HAIYUN JIANG, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Donald Trump

On a beaucoup souri en écoutant l’improvisation décousue de Donald Trump, à la suite du verdict de culpabilité dans cette affaire de falsification de documents. Je fais partie des très rares commenteux de l’actualité qui ne cherchent pas à le démoniser. Cet homme incarne tristement l’époque : dans un monde incroyablement beige et fade, ça ne semble plus être par l’art, l’anthropologie, la philo ou la sociologie que l’on se définit, mais à travers l’ancien président américain (que ne je cautionne pas, au contraire).

Donald Trump est l’écho d’une rage, d’une haine, d’un ras-le-bol, des failles d’un système, de l’importance de l’idéologie des apparences, de la « fake-vérité », de l’implosion de la morale, de nos pires défauts, beaucoup d’un manque d’impunité et, aussi, d’une ambiance qui pue.

Mes amis trappeurs « graissent » leurs pièges avec l’odeur de moufette. Ça camoufle celle de l’humain et ça réduit la méfiance des bêtes que l’on cherche à attirer. C’est une technique vieille comme le monde.

Le potager qui va grand V vient donc aussi avec un lot de nuisibles. Il y a plusieurs cages-pièges à raton et à moufette autour de la maison. Un matin cette semaine, j’ai pogné une bête puante avec des carrés aux Rice Krispies (avant, c’était avec des restants de table, mais ça attirait aussi les chats des environs, ce qui n’était pas le fun). Une moufette, donc. Je prends une couverture comme bouclier pour m’approcher, et « j’emballe » la cage en tentant de ne pas me faire asperger pour aller relocaliser l’animal loin-loin-loin. Chaque fois, c’est la même chose : même sans se faire arroser, vêtements, cheveux et peau sentent quand même le t… Mais je fais aussi partie des très rares personnes qui trouvent que l’odeur des moufettes ou celle du fumier d’une étable, ça sent bon. C’est une autre histoire. Disons que ça renforce le besoin et l’envie de solitude avec des résultats heureux.

Jusqu’où iront les Américains en novembre ? Éliront-ils encore ce « nuisible » (la queue de la moufette ressemblait étrangement au toupet de Trump) ?

Dans la nature, même les animaux que l’on aime détester et auxquels on trouve peu de qualités (rats, moufettes, belettes, charognards…) jouent un rôle important dans le système global. Permettant de tracer les contours et assurer le déroulement, avec plus ou moins de justice on s’entend, du monde qu’ils habitent. Car même pris au piège, ils mangent les Rice Krispies qui les ont attirés et condamnés.

J’étais planté dans l’allée de l’épicerie. J’hésitais entre les guimauves blanches ou multicolores. Avec en sourdine des guerres, des famines, des drames et ce soap opera social d’une époque prise dans son propre piège. J’ai choisi les colorées. Tant qu’à faire. On persiste à croire, malgré tout, à la beauté.

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