L’artiste Marc Séguin propose son regard sur l’actualité et sur le monde.

Un matin sale de pluie. On tente, pour se consoler des nuages, de se dire que la nature a besoin d’eau. Il y a un couple de canards colverts autour d’un étang pas très loin de la maison. On les voit rarement ensemble ; tandis que la femelle est sur le nid, le mâle reste à l’écart, seul.

Mai. C’est le moment de l’année où je redeviens fermier. Depuis quelques semaines déjà, dans les campagnes, on s’affaire au recommencement d’un cycle. Les outils sont sortis, « ramanchés », affûtés. Les machines sont entretenues et prêtes. Au bord des rangs, pour la grosse agriculture, la machinerie est stationnée, en attente de pouvoir « embarquer » dans les champs pour y faire les semences. Les maraîchers, eux, ont commencé début avril à mettre les laitues en terre.

Matin gris, donc. Un peu d’infos et d’actualités au réveil. À l’écrit et à la radio. Rien pour se réjouir. Des campements, des idéologies qui s’opposent (la même logique depuis la nuit du monde : opprimés contre oppresseurs). Comme d’habitude, on refait le monde et on déchire son t-shirt Lululemon. Dans les estrades, les avatars de l’indignation nous soûlent jour après jour, sans fin et à l’infini. Ça va mal, astie, on le sait. Mais on peut parfois aussi regarder par l’autre bout de la lorgnette. Il me semble. Une journée par semaine, mettons.

On devine que l’air ambiant est fâché et fragile, près de ses limites. C’en était assez pour la journée. Quota atteint. Au diable la pluie, j’irai cueillir de l’ail des bois pour ma mère. Ne pas nourrir l’ennui, ne pas entretenir l’ennui ni le ressentiment, jamais. On sait que ça finit en chialage.

Un sac, une fourche et une paire de bottes plus tard, en passant devant la shed à tracteurs, il y avait un oisillon, manifestement tombé du ciel, sous le bucket de la pépine, et incapable de voler. Un autre oiseau, adulte, affolé, volait autour de moi et poussait des cris. Fichu hasard que le petit ait échappé aux chats errants, dont une chatte grosse comme deux ce printemps. J’ai étiré l’échelle coulissante jusqu’au faîte, sur les poutres, puis j’ai ramassé le petit merle et l’ai déposé dans son nid construit sur un chevron du grenier. La mère a attendu que je me sois éloigné et elle l’a retrouvé.

Plus loin dans la forêt, comme un enfant, j’ai tracé des rigoles avec les pieds dans la boue pour que l’eau se fasse un chemin et s’égoutte jusqu’à la petite rivière. La nature point : fougère, muguet et jeunes feuilles vert tendre. Les tiques aussi. Deux sur moi, en une heure. Saloperie. J’aurais pu maudire les changements climatiques, les gouvernements, la société ou la lenteur de la science à produire un vaccin. C’est dimanche, on se retient.

J’ai arraché une trentaine de bulbes d’ail. La limite est 50. On pique la fourche à grand coup de pied jusqu’à sa limite, on la remonte ensuite en levier pour « lousser » la terre et de l’autre main, on y plonge pour tirer sur l’ail. Grand bonheur. Surtout que ce sont de nouvelles talles découvertes dans une petite côte, il y a deux semaines.

En remontant vers le sentier du retour, un énorme vacarme à deux mètres : une dinde sauvage apeurée s’est envolée du sol dans un immense fracas d’air et de bruit. Méchant saut. Elle était restée là, immobile jusqu’à la dernière seconde, car elle couvait son nid. Instinct de protection. Que d’autres, plus socialisés, oseraient aussi appeler amour ou sentiments. Une idée de survie comme une autre, on se dit, au vu et au su de l’état du monde, comme si faire des enfants envoyait chier le destin, à travers les bombes, les horreurs et les ratés fondamentaux de la bienveillance.

Lorsque la dinde s’est envolée, trois œufs ont roulé hors du nid, dans la pente. L’oiseau femelle, haut perché sur la branche d’une grande pruche, regardait en bas, inquiet.

Les mains couvertes de terre mouillée, essuyées sur les pantalons, j’ai ramassé les trois œufs un à un et les ai remis dans le nid, avec les six autres. Je suis reparti avec la fourche sur l’épaule et un petit bouquet d’ail des bois pour l’offrir. Sans les mamans du monde, il y aurait moins de suite.

Bonne fête des Mères.

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