Aujourd’hui, notre chroniqueur rencontre l’écrivain français François-Henri Désérable

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’écrivain français François-Henri Désérable a le don d’être au bon endroit, au bon moment.

L’an dernier, il s’est retrouvé en Iran « au plus fort de la répression » contre le soulèvement populaire.

C’est-à-dire quelques semaines après la mort de Mahsa Amini, tuée par les autorités iraniennes parce qu’elle avait enfreint le code vestimentaire des femmes sous le régime des mollahs.

« Alors que je suis dans l’avion au départ de Francfort pour aller à Téhéran, je reçois un appel de la cellule de crise du ministère [français] des Affaires étrangères. On me dit : “Monsieur Désérable, renoncez à votre projet de voyage en Iran, vous faites face à un risque d’arrestation et de détention arbitraire très élevé, nous avons plusieurs de vos compatriotes sous les verrous. S’ils vous arrêtent, vous pourriez passer des mois, si ce n’est des années, dans leurs geôles et on ne pourra rien y faire.” »

Il ne les a pas écoutés.

C’est la raison pour laquelle cet ex-hockeyeur, tombé amoureux de la littérature et des voyages, est aujourd’hui devant moi, en tournée de promotion pour son essai sur l’Iran intitulé L’usure d’un monde.

C’est la raison pour laquelle, aussi, j’écris que ce Français de 36 ans – qui a le look d’un étudiant plutôt que celui d’un joueur de hockey professionnel – était au bon endroit, au bon moment.

Il a pu nous raconter ce qui se passait alors en Iran. Et tout particulièrement dans la tête des Iraniens, car il a multiplié les conversations avec eux.

Son témoignage est précieux.

« Les journalistes iraniens qui traitaient des manifestations étaient mis en prison et les journalistes occidentaux ne se voyaient plus délivrer de visas. C’est précisément parce que je n’avais pas de carte de presse que j’ai pu obtenir un visa touristique », m’explique-t-il.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Notre chroniqueur en compagnie de François-Henri Désérable

Il me semblait que ça aurait été un manque de courage de me dérober au dernier moment et de rester chez moi alors que j’avais la chance de pouvoir témoigner de ce qui se passait en Iran.

François-Henri Désérable

François-Henri Désérable effectue aussi sa tournée au Québec au bon moment. Il avait prévu depuis un certain temps de venir ici en octobre pour parler de l’Iran… et voici qu’il arrive alors que le pays joue de nouveau un rôle de premier plan dans l’actualité brûlante.

En tant que parrain du Hamas et du Hezbollah, l’Iran est l’un des acteurs clés du conflit israélo-palestinien.

On veut en savoir plus sur ce pays. Et ça tombe bien, parce que l’écrivain en a long à dire.

Je voulais savoir à quel jeu, selon lui, joue l’Iran. Sa réponse est simple. L’objectif du régime des mollahs, c’est « la conservation du pouvoir, qui passe par une déstabilisation permanente de la région ».

Je lui rappelle que le jour de l’assaut du Hamas en Israël, le 7 octobre dernier, on a rapporté que deux immenses banderoles ont été déployées dans la capitale iranienne, Téhéran, pour célébrer l’évènement.

« Je ne suis pas sûr que le peuple iranien se réjouisse de ce qui est arrivé en Israël. Ils savent très bien que ce sont les Pasdarans – les Gardiens de la révolution islamique – qui sont derrière le Hamas », me dit-il.

« J’ai d’ailleurs vu des manifestations d’Iraniens en soutien à Israël, des manifestations de compassion. Pas en Iran, parce que ce serait trop dangereux de le faire, mais au sein de la diaspora aux États-Unis et à Paris. »

François-Henri Désérable estime qu’on « ne voyage pas pour se rincer l’œil de nouveaux paysages, mais pour en revenir avec des yeux différents ». Et il revient de ses 40 jours en Iran avec des préjugés en moins.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

François-Henri Désérable

Il a premièrement compris que « les Iraniens sont loin d’être des fanatiques religieux », même si le fondamentalisme du régime au pouvoir, lui, est notoire.

Il a aussi pu constater que « le peuple iranien n’a rien contre les États-Unis d’Amérique, et rien contre les Juifs ». « Un deuxième préjugé est tombé », dit-il.

Il est sage, en somme, de faire une distinction entre le régime et le peuple en Iran.

Ce que l’écrivain a constaté, sur le terrain, c’est que les Iraniens rêvent du jour où le régime tombera.

« Je n’ai jamais rencontré un peuple qui montrait une défiance aussi largement partagée à l’égard du régime en place », dit-il.

Il cite un sondage « qui n’était pas destiné à être rendu public » et qui a révélé que 82 % des Iraniens étaient en faveur des revendications des manifestants contre le régime. Son séjour sur place semble démontrer que ce résultat est plutôt fidèle à la réalité.

« Lors de mon voyage, si je mets de côté les Gardiens de la révolution qui m’ont arrêté à la fin, je n’ai rencontré en tout et pour tout qu’un seul Iranien qui a chanté les louanges de ce régime », me raconte-t-il.

Il l’explique clairement dans son ouvrage, d’ailleurs. Ce sur quoi il insiste, aussi, c’est le courage des Iraniens qui ont osé défier les dirigeants du pays. Dans son livre comme en entrevue.

Le régime iranien est d’une barbarie sans nom. Il a instauré un règne de peur. Il n’hésite pas à torturer et à tuer ses opposants. Pourtant, bon nombre d’Iraniens bravent cette peur, souvent au péril de leur vie.

L’écrivain me raconte une anecdote touchante qui figure dans son essai. Sa rencontre avec une jeune femme qui apprenait des poèmes « pour se préparer à l’éventualité de la prison ».

Elle me disait que si on la privait de sa liberté, de sa dignité, de sa famille, de ses amis, que si on la torturait, il y a au moins une petite chose qu’on ne pourrait pas lui prendre : les poèmes qu’elle avait appris par cœur et qu’elle se réciterait en attendant la mort ou la liberté.

François-Henri Désérable

Je vous dois quelques explications en terminant. J’ai commencé ce texte en vous expliquant que François-Henri Désérable avait joué au hockey, mais je ne vous ai pas fourni de détails.

Les voici : de 18 à 29 ans, il a été joueur de hockey professionnel. « En France, ce qui n’est pas aussi glorieux qu’au Canada, loin de là », prend-il soin de préciser. C’est tout de même comme ça qu’il gagnait sa vie.

Le hockey est la grande affaire de ma vie. J’échangerais tous les livres que j’ai publiés pour jouer une saison pour le Canadien de Montréal. Et ce n’est pas pour flatter le peuple québécois que je dis ça.

François-Henri Désérable

Et d’ajouter : « Baudelaire parle de la peinture comme de sa grande et primitive passion. Moi, le hockey sur glace est ma grande et primitive passion. »

Après avoir lu son essai sur l’Iran, je ne suis pas déçu qu’il ait décidé de troquer son bâton contre la plume il y a une demi-douzaine d’années. De toute façon, une carrière au hockey, ça vient avec une date de péremption relativement précoce.

À la toute fin de l’entrevue, il m’a confié avoir séjourné récemment dans le Rojava, territoire kurde de Syrie, dans le but d’en tirer un reportage. J’ai déjà hâte de m’y plonger.

Lisez notre critique de L’usure d’un monde

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je ne prends jamais de café. Je ne bois que du chocolat chaud.

Un livre que j’aurais voulu écrire : L’usage du monde, de Nicolas Bouvier.

Un livre que j’offrirais à un ami : Je serais encore tenté de répondre L’usage du monde, mais je vais en citer un autre : Le parfum, de Patrick Süskind.

Un livre sur ma table de chevet actuellement : Un autre essai de voyage, La trêve, de Primo Levi, qui est très connu pour Si c’est un homme, le récit sur son passage par le camp d’Auschwitz.

Des gens, vivants ou morts, que j’aimerais rassembler pour discuter : Romain Gary, Che Guevara, l’actrice iranienne Golshifteh Farahani, Nicolas Bouvier et Victor Hugo.

Qui est François-Henri Désérable ?

  • François-Henri Désérable est né en 1987 à Amiens.
  • Aujourd’hui âgé de 36 ans, il a été joueur de hockey professionnel, en France, de 18 à 29 ans.
  • Il a publié son premier livre, Tu montreras ma tête au peuple, en 2013 aux éditions Gallimard.
  • Il a publié, depuis, quatre autres livres, traduits dans une quinzaine de langues, y compris son récit de voyage en Iran, L’usure d’un monde. Il a reçu le grand prix du roman de l’Académie française en 2021 pour son roman Mon maître et mon vainqueur.