Des blagues sur l’Iran ? Oui, ça existe.

D’ailleurs, pour bien comprendre l’approche et le style de François-Henri Désérable, commençons ce texte avec une blague que l’écrivain raconte au début de son livre parce qu’elle « circule dans les rues » du pays.

C’est l’histoire d’un Afghan qui arrive en Iran et qui déclare à un douanier qu’il est l’ancien ministre chargé de la mer et des ports.

« L’agent iranien s’en étonne : “Comment pouvez-vous être l’ancien ministre chargé de la mer et des ports ? Il n’y a ni mer ni ports en Afghanistan !” Réponse de l’Afghan : “Et alors ? Est-ce que vous n’avez pas un ministre de la Justice en Iran ?” »

On peut tirer deux conclusions à partir de cet extrait.

Premièrement, l’Iran est un pays sur lequel le malheur s’est abattu, mais dont le peuple aime mieux rire jaune que de ne pas rire du tout.

Deuxièmement, François-Henri Désérable est un fabuleux conteur qui vous fait rager – contre les injustices en Iran et, de façon plus générale, la barbarie du régime des mollahs –, mais qui trouve le moyen de vous faire sourire. Malgré tout.

L’idée derrière ce livre, c’était pour François-Henri Désérable de suivre les traces de Nicolas Bouvier. Ce célèbre écrivain voyageur avait séjourné dans cette région du monde dans les années 1950, ce qui a donné lieu à un livre culte intitulé L’usage du monde.

François-Henri Désérable a pris cette décision en 2019. Or, la pandémie et la publication d’un roman l’ont forcé à repousser son voyage à la toute fin de l’année 2022.

Il s’est donc retrouvé en Iran quelques semaines après la mort de la jeune Kurde Mahsa Amini, tuée par la police des mœurs iranienne en septembre dernier, alors que le pays était le théâtre d’une vague de soulèvements.

L’usure d’un monde (clin d’œil au titre du livre de Nicolas Bouvier) n’est donc pas un récit de voyage ordinaire, en ce sens qu’il est ancré dans l’actualité.

François-Henri Désérable nous raconte son voyage, oui, mais nous permet aussi de prendre le pouls d’un pays en ébullition. Il laisse d’ailleurs entendre que la question qu’il a posée le plus souvent, c’est : « Vous en pensez quoi, vous, du régime au pouvoir ? »

À peu près tous ses interlocuteurs lui ont dit tout le mal qu’ils pensent de ce régime pourri.

Ce livre – très réussi – est aussi une brève mais efficace leçon d’histoire de l’Iran contemporain. On y explique que le pays est devenu une klepthanatocratie.

Une quoi ?

C’est un mot-valise : la combinaison de kleptocratie et thanatocratie. On parle d’« un régime corrompu qui s’approprie les richesses d’un pays et se maintient au pouvoir en régnant par la mort et par la peur des mises à mort ».

Son livre fourmille d’exemples d’actes barbares du régime. Il témoigne toutefois, en contrepartie, de nombreux gestes courageux d’Iraniens croisés au gré de ses déplacements.

Parce que si la peur était depuis trop longtemps une « compagne de chaque instant » pour les Iraniens, depuis septembre 2022, elle s’est effacée « au profit du courage », raconte l’écrivain.

L’usure d’un monde n’est donc pas un livre simple à classer. Il est à la fois lourd et léger ; un roman d’aventures, un recueil d’anecdotes de voyage et le récit d’un drame qui est loin d’être terminé.

Il n’est pas simple à classer… mais il est facile de le recommander.

Extrait

« Depuis quarante-trois ans, et même bien davantage, la peur était pour le peuple iranien une compagne de chaque instant, la moitié fidèle d’une vie. Les Iraniens vivaient avec dans la bouche le goût sablonneux de la peur. Seulement, depuis la mort de Mahsa Amini, la peur était mise en sourdine : elle s’effaçait au profit du courage. Courage de faire la guerre à un régime qu’ils vomissaient. Car c’était bien d’une guerre qu’il s’agissait. Une guerre d’usure, asymétrique, avec d’un côté ceux qui avaient des matraques, des gaz lacrymogènes, des boucliers, des fusils-mitrailleurs, ceux qui pratiquaient les détentions arbitraires, les jugements expéditifs et les pendaisons à l’aube, et de l’autre, ceux qui n’avaient que leur voix. »

Qui est François-Henri Désérable ?

Écrivain né à Amiens en 1987, François-Henri Désérable a publié quatre romans avant d’écrire son récit de voyage en Iran. L’un d’eux, Mon maître et mon vainqueur, a reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2021. Fait cocasse, ce romancier a aussi été… joueur de hockey professionnel pendant plusieurs années.

L’usure d’un monde – Une traversée de l’Iran

L’usure d’un monde – Une traversée de l’Iran

Gallimard

157 pages