Le Qatar, qui a eu maille à partir dans un passé récent avec plusieurs pays arabes en raison de son soutien à des groupes islamistes radicaux, se retrouve paradoxalement à jouer les médiateurs dans le conflit entre Israël et le Hamas.

Son rôle dans la négociation de la libération de deux otages américaines la fin de semaine dernière a été salué par le gouvernement américain, qui décrit le petit pays comme un « très proche allié ».

Il a été de nouveau évoqué lundi après que deux Israéliennes détenues dans la bande de Gaza ont été remises à des représentants de la Croix-Rouge.

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Le rôle du Qatar dans la négociation de la libération de Judith Tai Raanan et de sa fille Natalie Shoshana Raanan, deux otages américaines, la fin de semaine dernière, a été salué par le gouvernement américain.

Le régime qatari joue ce rôle de médiateur avec l’appui des États-Unis et d’autres pays qui trouvent leur compte dans le maintien de canaux de communication indirects de ce type, note Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa.

La capitale qatarie, Doha, avait notamment servi il y a quelques années lors des négociations menées par Washington avec les talibans pour formaliser le retrait des dernières troupes américaines d’Afghanistan.

Le Qatar est un petit pays, très fragile, qui se retrouve pris en sandwich entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Il cherche, pour renforcer sa position, à se rendre indispensable aux yeux des États-Unis.

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa

Son importance aux yeux de Washington tient aussi à la présence d’une importante base militaire comptant 10 000 soldats qui joue un rôle central dans la capacité américaine de se déployer rapidement dans la région et au-delà.

« En contact » avec toutes les parties

L’émirat a rapidement fait valoir ses efforts de médiation après l’attaque du Hamas du 7 octobre en relevant que ses représentants étaient « en contact constant avec toutes les parties » dans la crise et cherchaient à éviter un embrasement régional, tout en facilitant la libération des otages.

L’affirmation n’est pas passée inaperçue dans les pays occidentaux, incluant le Canada, qui comptent plusieurs ressortissants parmi les 220 otages retenus par le Hamas dans la bande de Gaza.

Le premier ministre Justin Trudeau, qui a parlé avec l’émir qatari Tanim ben Hamad al Thani le 15 octobre, a salué en fin de semaine sur Twitter le « rôle important » du pays dans les libérations américaines obtenues, avant de souligner qu’Ottawa « continuerait » d’agir avec Doha pour obtenir que les autres otages recouvrent leur liberté.

Le président français, Emmanuel Macron, a fait des remerciements similaires tout en relevant qu’il avait bon espoir d’obtenir, grâce aux canaux utilisés « par le truchement du Qatar », la libération des otages français du Hamas.

Le Qatar n’est pas le seul pays à prétendre jouer les médiateurs dans la crise, puisque d’autres États, incluant la Turquie, affirment avoir été sollicités pour tenter de calmer les tensions.

Le régime n’en demeure pas moins au centre du jeu diplomatique, qui peut s’avérer délicat en période de crise majeure.

« Une erreur »

Des images montrant des dirigeants politiques du Hamas établis à Doha qui se félicitaient de l’attaque du 7 octobre sont de nature à choquer en Israël et au-delà, note M. Juneau, qui ne serait pas surpris de voir Tel-Aviv réclamer leur extradition même si aucun mécanisme formel n’est en place à ce sujet.

Une autre rencontre survenue à Doha à la mi-octobre entre le Hamas et l’Iran, son principal commanditaire, est aussi susceptible de faire des vagues, relève l’analyste.

« Ça m’a surpris. En termes d’optique, ça fait mal paraître le Qatar, c’était une erreur. Ils ont peut-être été mis devant le fait accompli », ajoute-t-il en précisant que les dirigeants politiques du Hamas sont étroitement surveillés par les autorités locales.

« S’ils n’étaient pas là, ils seraient sans doute en Iran, ce qui ne serait pas vraiment mieux pour faire avancer les choses », souligne M. Juneau.

Blocus

Le Qatar a fait l’objet pendant quatre ans d’un important blocus orchestré par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte, qui lui reprochaient de vouloir déstabiliser les régimes de la région par son soutien à des groupes islamistes radicaux et d’utiliser la chaîne Al Jazeera à des fins de propagande pour leur nuire.

Les dirigeants de ces pays étaient aussi soupçonneux des liens du Qatar avec l’Iran, note dans une récente étude l’International Crisis Group (ICG).

Le blocus, souligne le groupe de recherche, n’a pas eu d’incidence durable sur les orientations du régime qatari et ses instigateurs ont accepté début 2021 de faire marche arrière avant de progressivement rétablir des relations diplomatiques normales.

Le processus, note l’ICG, a notamment été accéléré par la tenue de la Coupe du monde de soccer de 2022 au Qatar, qui a entraîné une « flambée de nationalisme arabe » s’étendant bien au-delà des limites du pays.

L’évènement avait été fortement critiqué par d’influentes organisations de défense des droits de la personne comme Amnistie internationale et Human Rights Watch, qui accusaient le pays de vouloir améliorer son image internationale par l’utilisation du sport, un stratagème aussi largement utilisé par l’Arabie saoudite.

Le Qatar, qui nie toute malversation, avait aussi été placé sous les projecteurs à la fin de l’année dernière dans un scandale de corruption touchant plusieurs élus du Parlement européen.