Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur-compositeur-interprète innu Matiu, qui parle de sa langue maternelle… au moment où s’anime la discussion sur un quota de musique autochtone à la radio.

Ça devait être quelque chose comme autour de l’automne 1991. On habitait à Québec, au village huron, ma mère pis moi. Un petit trois et demie dans la rue Nicholas-Vincent, juste au feu rouge clignotant. On faisait nos études là-bas. Ma mère à l’université et moi à la maternelle. Elle m’a conté qu’un jour, je suis revenu de l’école en pleurant.

À la maison, ça parlait pas mal juste en innu. Fait qu’en arrivant là-bas, je me suis sûrement senti atterrir ailleurs. Imagine le feeling : on est à l’heure du dîner, t’essaies de demander une fourchette ou une cuiller pour manger, pis la madame te regarde avec des grands yeux, du genre : « Quessé qu’il dit ? » Ayoye ! Je ne m’en souviens pas, mais je sais qu’à partir de là, Mom a décidé de faire un effort sur le français. Sinon, son pauvre ti-gars mangerait avec ses doigts tout le temps à l’école.

Le plus triste là-dedans, c’est que j’ai fini par perdre ma langue.

Mais cette histoire-là, elle a plus de 30 ans. À l’époque, la langue innue n’était pas encore vraiment en danger. En tout cas, pas autant qu’elle l’est aujourd’hui.

Notre belle langue, transmise de génération en génération, la langue d’un peuple qui marche sur ses terres depuis des millénaires, est à l’agonie. Je ne peux m’empêcher de verser quelques larmes en écrivant ça. Je ne peux pas croire qu’on va laisser la langue disparaître.

Chanceuses sont les communautés où les gens réussissent encore à parler l’innu-aimun dans leurs maisons. Mais dans les communautés qui sont proches des villes, comme Maliotenam, collée sur Sept-Îles, c’est plus difficile. D’autant plus que les iPad, iPhone, tablettes et tout le tralala, ça n’aide pas. C’est sûr qu’il va toujours y avoir les livres pour enseigner la langue et les ordinateurs pour la sauvegarder. Mais la langue parlée au quotidien dans nos maisons, dans nos familles, ça va mal ! Nos aînés sont de la dernière génération à avoir vu et vécu le mode de vie traditionnel. Marcher pour manger. Parler le langage du territoire.

Notre histoire s’évapore / À chaque fois qu’il y en a un qui part.

Paroles tirées de la chanson Terre sauvage, de Matiu

Quand j’étais petit et que j’allais jouer chez des amis, j’étais le seul qui parlait français. Les parents parlaient encore à leurs enfants en innu. Aujourd’hui, si un kid peut compter jusqu’à 10 en innu, c’est déjà pas pire. Je dis ça, et je ne suis même pas sûr d’être capable.

J’ai essayé quelques fois en grandissant de m’exprimer en innu. Mais quand tu es au secondaire, pendant la pause avec ton cercle d’amis, et que là, ça jase… Tu prends ton courage à deux mains, tu t’essaies et tu te dis intérieurement : « Bon, OK, j’vais répondre en innu. » Tu oses, et puis tu fais rire de toi. Ça donne moins le goût d’essayer encore.

Aujourd’hui, ça ne se passerait pas comme ça. Aujourd’hui, on applaudit ceux et celles qui essaient et on les encourage à continuer.

Au moins, j’ai toujours compris l’innu parce que je me faisais souvent garder chez Mémère et Pépère Johnny qui, eux, le parlaient toujours. Ils me parlaient en innu et je leur répondais en français. Pépère Johnny, lui, baragouinait un peu de français parce qu’il avait travaillé plusieurs années pour la Iron Ore Company (IOC). Et aussi parce qu’il écoutait La soirée du hockey. Ça fait que je comprends l’innu malgré tout, même si dans ma tête, ça se passe en français. Quand je veux m’exprimer en innu, je dois faire une traduction mentale. C’est un peu plus compliqué que pour quelqu’un qui réfléchit en innu.

Mais qu’est-ce qu’on pourrait faire pour encourager et motiver nos enfants à parler l’innu ? Je sais que ça part essentiellement de nous, les parents, qui devrions nous forcer tous les jours à la maison pour communiquer en innu. Mais comme je suis déjà en rattrapage, c’est pas facile. Ma fille va à l’école Tshishteshinu, à Maliotenam. Elle est en quatrième année. Dans une école de la communauté, on s’attend à ce qu’au moins, les élèves en apprennent plus qu’ailleurs sur leur culture et leur langue. C’est vrai, mais pas tant que ça. Sur un cycle de sept jours, elle a une période ou deux d’innu-aimun. Une heure ou deux par semaine, c’est pas assez.

Comment aider la langue, donc ? Je n’ai pas la réponse. Une chance pour moi, il y a eu la musique. En écoutant du Kashtin, du Philippe Mckenzie, du Bernard Fontaine et compagnie, en chantant avec eux, j’ai appris. J’ai pu me réapproprier ma langue et en être fier.

Fait que c’est pas mal cool le « moove » de demander un quota de 5 % de musique autochtones dans les radios commerciales. C’est même important. Ça ne peut pas faire de tort. Ça peut juste aider, pis faire du bien.

Au pire, on se crisse tous des Post-it sur le front avec, écrit dessus : « Innu-aimi ma ! »

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