C'est un secret de Polichinelle: plus les actrices vieillissent, moins on les engage. À cet égard, Marie-Ginette Guay est une exception. Révélée à 50 ans et des poussières dans Continental, un film sans fusil, l'actrice de Québec est devenue une habituée de l'autoroute 20 tant les offres se sont mises à pleuvoir. Après Aveux, Yamaska et Chabotte et fille, elle incarnera la mythique mère de Jack Kerouac dans l'adaptation au cinéma du roman On the Road sous la direction de Walter Salles dans un film produit par Francis Ford Coppola.

Marie-Ginette Guay n'avait pas envie de se présenter à l'audition pour le rôle de Gabrielle Lévesque, celle que Jack Kerouac appelait affectueusement «mémère». En réalité, ce n'était pas tant une histoire d'envie que l'impression de n'avoir aucune chance d'être choisie. «J'ai demandé à mon agente, t'es sûre que ça vaut la peine? Je ne parle pas anglais. Je ne suis pas connue», raconte-t-elle, attablée dans un resto montréalais.

L'agente a insisté. Marie-Ginette a fini par accepter tout en priant son agente de décliner la liste de ses défauts à celle qui la verrait en audition, histoire qu'elle sache exactement à qui elle avait affaire.

C'était il y a à peine un mois et demi.

«Après la première audition, je me suis mise à rêver et comme le téléphone ne sonnait pas, j'ai arrêté de rêver. Le manège a recommencé à la deuxième audition. Finalement j'étais en essayage pour Chabotte et fille quand mon portable a sonné. Ils voulaient avoir mes dates de disponibilités. Une heure plus tard, j'étais au volant de ma voiture quand j'ai appris que j'allais participer à cette oeuvre mythique qu'a été On the Road. Je me suis remise à rêver.»

L'exil intérieur

Depuis, Marie-Ginette a tourné trois jours à Valleyfield et dans une maison à Hudson sous la direction du Brésilien Walter Salles (Carnets de voyage) en donnant la réplique à Sam Riley (Control), un jeune acteur britannique qui incarne Jack Kerouac. Elle a aussi tourné des scènes avec Kristen Stewart (Twilight) et Kirsten Dunst (Marie Antoinette), deux actrices célébrissimes qu'elle ne connaissait ni de nom ni de réputation, vu qu'elle va rarement au cinéma. «La grande différence entre un tournage québécois et une coproduction internationale (franco-brésilienne) de 25 millions, c'est le temps. Il y a du temps pour tout. On n'est pas dans un état perpétuel d'agitation. On prend le temps de faire du petit point. C'est le bonheur.»

Marie-Ginette laisse tomber cette dernière phrase avec des yeux rêveurs et un sourire langoureux. Elle dégage en personne la même douceur veloutée que le personnage de Micheline Gagnon-Dubreuil dans Aveux, cette femme qui s'est volontairement mise à l'abri de la vie et qui, au fil du temps, est brutalement rattrapée par son âpreté.

Pour incarner Micheline, Marie-Ginette a fait appel à la sensibilité à fleur de peau qui l'habite et qui en a fait une si convaincante actrice. Mais Marie-Ginette n'est pas qu'une actrice. C'est aussi une administratrice. Pendant neuf ans, elle a été vice-présidente du CA du Théâtre du Trident avant de passer au Théâtre du Périscope dont elle assure la direction artistique depuis 2003. C'est aussi une femme engagée, qui croit à l'importance des débats de société et qui déplore la marginalisation des intellectuels québécois. C'est, enfin, une passionnée de sociologie et une émule du grand sociologue Fernand Dumont dont elle a suivi les cours à l'Université Laval dans les années 70. Elle avoue que les réflexions de Dumont sur l'exil au sein de son propre pays et de sa propre famille l'ont beaucoup marquée. Et pour cause.

Marie-Ginette est née à Lauzon près de Lévis dans un milieu ouvrier. Son père était mécanicien au chantier maritime, sa mère, une femme au foyer, élevant ses trois enfants sans grands moyens. En principe, leur fille aurait dû se marier et poursuivre la lignée. Mais la société en pleine mutation de l'époque a brouillé les cartes et produit des nouvelles générations qui, culturellement, n'avaient plus grand-chose à voir avec leur famille. D'où le sentiment d'exil intérieur, évoqué par Dumont.

Se sentir exilé de sa propre famille est une chose. Décider de s'exiler en est une autre qu'ont choisie près d'un million de Canadiens français au tournant du XIXe siècle. Parmi ceux-là, les grands-tantes de Marie-Ginette. Comme la mère de Kerouac, elles ont quitté le Québec pour aller travailler aux États-Unis et poursuivre cette merveilleuse chimère qu'est le rêve américain.

«Je me revois toute petite recevant des piastres américaines envoyées du Dakota par mes tantes. Et dire qu'aujourd'hui j'ai cette chance extraordinaire de pouvoir creuser mon histoire familiale personnelle, mais aussi l'histoire du Québec à travers un film qui raconte cette grande brisure migratoire que le Québec a vécue.»

Second début

Contrairement à la plupart des acteurs natifs de Québec, qu'il s'agisse de Denis Bernard, Marie-Thérèse Fortin, Yves Jacques ou Raymond Bouchard, Marie-Ginette n'a jamais ressenti le besoin de «s'exiler» à Montréal. Ses tâches administratives, au sein des théâtres de Québec, y sont pour beaucoup. Mais il y a une autre raison qui tient sans doute au tempérament même de cette actrice, très impliquée dans son milieu, qui ne se maquille jamais, qui se fout de son image et qui n'avait pas d'ambition particulière autre que de jouer au théâtre, ce qu'elle a fait abondamment à Québec et rarement à Montréal.

Le résultat, c'est qu'en la voyant évoluer aujourd'hui, on a le sentiment de découvrir une nouvelle venue de 50 ans. Douce vengeance pour la principale intéressée? Pas vraiment, puisque Marie-Ginette a très bien vécu à l'écart des projecteurs. Ce qui ne l'empêche pas de savourer pleinement le second début inattendu qu'elle vit depuis la sortie de Continental, un film sans fusil qui lu a valu une nomination aux Génie et l'intérêt soudain des producteurs.

«Je trouve ça merveilleux de voir des femmes d'un certain âge à l'écran, plaide-t-elle. Cela dit, pour une actrice que le public a découverte à 20 ans alors qu'elle était un pétard, ça doit être plus compliqué de vieillir à l'écran. Moi, c'est déjà fait. Je n'ai pas d'image à protéger. J'ai juste à être qui je suis, sans aucune pression. Pas pour l'instant du moins.»

Pour se préparer à incarner Gabrielle Lévesque, Marie-Ginette a relu On the Road, en français évidemment, puis L'essai poulet sur Jack Kerouac de Victor-Lévy Beaulieu qui l'a beaucoup inspirée. Elle a aussi visionné sur YouTube la fameuse entrevue de Kerouac au Sel de la semaine avec Fernand Seguin. Sa Gabrielle ne sera pas une mère castratrice comme le veut la légende, mais une femme amoureuse de son fils. Elle s'exprimera toujours en français même si tout le monde lui parlera en anglais.

«Ce que j'ai envie de jouer, c'est l'attachement profond de cette femme envers son fils. Est-ce qu'elle l'étouffe? Je ne sais pas. Ce n'est pas de mes affaires. Je n'ai pas à jouer les conséquences de cet amour. Seulement cet amour dans toute sa force et sa tendresse.»

Ce soir même, Marie-Ginette s'envole pour l'Argentine où c'est l'hiver. Elle y tournera les scènes de voiture où Kerouac, sa mère et ses amis beatniks prennent la route ensemble en Caroline-du-Nord et remontent jusqu'à New York. Puis, Marie-Ginette quittera la joyeuse bande de On the Road pour ne les retrouver qu'en novembre. Entre-temps, elle reviendra chez elle pour reprendre le fil de sa vie et, bien entendu, la route entre Québec et Montréal.

Questionnaire Sur la route

> La route sur laquelle elle roule le plus souvent: l'autoroute 20. Toujours en autobus.

> Arrêt préféré sur la 20: le Madrid près de Drummondville. Pour les dinosaures.

> Un trip sac à dos: en France, après ses études et en Colombie-Britannique, seule, il y a quelques années.

> Route de l'été 2010: la route de la Gaspésie entre le Bic et Percé.

> Son plus beau voyage: en Italie du Nord, un été, et à Cape Cod, sur la côte américaine, avec des amis.

> Son pire souvenir de voyage: monter une tente à Tadoussac, après la pluie, quand le soleil sort et que les mouches noires te dévorent.

> Prochain départ: Montréal-Buenos Aires. Ce soir.