Le festival international de cinéma Vues d’Afrique célèbre ses noces d’émeraude cette année et présente une programmation étoffée qui revisite son passé pour mieux rappeler son importance dans la cinéphilie québécoise. Le cofondateur et président de l’évènement, Gérard Le Chêne, se souvient du chemin parcouru.

Vues d’Afrique doit une fière chandelle au Festival des films du monde (FFM). Il y a quatre décennies, lors d’une conférence de presse du FFM, le journaliste de Radio-Canada Ousseynou Diop (mort en 2011) a demandé pourquoi aucun film africain ne figurait dans la programmation. Réponse ? « Parce que ça n’existe pas ! », relate l’ancien journaliste et documentariste Gérard Le Chêne en entrevue.

Il n’en fallait pas plus pour motiver un petit groupe de personnes à organiser une semaine de cinéma africain à la Cinémathèque québécoise en avril 1985. « Ce fut un beau succès, se remémore M. Le Chêne, qui a cofondé Vues d’Afrique et en est le président. On venait combler un manque. Il n’y avait aucune information culturelle sur l’Afrique. Elle était totalement absente... sauf lorsqu’il s’y déroulait un drame. »

Une révolution

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis cette première manifestation cinématographique. Vues d’Afrique a évolué au même titre que le cinéma africain, trouvant tranquillement son rythme de croisière pour ne plus regarder en arrière. Des cinéastes sont aujourd’hui célébrés et leurs œuvres présentées dans les plus grands festivals de la planète. Une révolution qui n’est pas seulement d’ordre esthétique, mais également numérique : la démocratisation du septième art a permis un essor extraordinaire sur le plan de la production.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Gérard Le Chêne, cofondateur et président de Vues d’Afrique

Au début, on recherchait des films. Maintenant, c’est le contraire. Il faut les sélectionner, car on en reçoit entre 500 et 600 chaque année.

Gérard Le Chêne, cofondateur et président de Vues d’Afrique

Un beau problème qui explique la richesse et la diversité de cette nouvelle édition, qui aborde des thématiques aussi variées que les droits de la personne et le développement durable. Au programme, 140 titres en provenance de l’Afrique, de l’Europe, des pays créoles et du Canada.

Les festivités débutent en force le jeudi 11 avril avec la présentation de Marabout chéri, une comédie de la Côte d’Ivoire qui a fait sensation partout sur son passage. Elles se poursuivent jusqu’au 21 avril avec des matinées destinées aux jeunes cinéphiles, des soirées thématiques consacrées à différents pays, des séances de courts métrages (où figure notamment le désopilant Faire un enfant, d’Éric K. Boulianne), etc.

Le passé retrouvé

Le spectre du passé plane sur cette 40édition. Dans l’émouvant 1964 : Simityè Kamoken, la journaliste et réalisatrice Rachèle Magloire éclaire une sombre page d’histoire – un massacre perpétré par le dictateur haïtien François Duvalier afin d’étouffer dans l’œuf un projet de rébellion – qui a eu des répercussions directes sur sa famille. Puis la cinéaste Osvalde Lewat offre, avec MK, l’armée secrète de Mandela, un fascinant documentaire sur d’anciens hommes et femmes de l’ombre qui ont joué un rôle important pour mettre fin à l’apartheid.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Gérard Le Chêne

Cette année marque le 30e anniversaire du génocide rwandais, un des moments charnières de l’histoire de Vues d’Afrique, selon son président Gérard Le Chêne. « À l’époque, on connaissait bien la question, car grâce à des programmes d’emploi, on accueillait des réfugiés d’origine africaine avant que le génocide ne se produise. Toutes les personnalités politiques qui vous disent qu’elles ne savaient pas ce qui allait arriver se moquent des gens. Si on était le moindrement soucieux de s’informer, on pouvait savoir que ça s’en venait. »

Une journée spéciale, le 13 avril, est dédiée à ce triste évènement. Trois films seront présentés, dont Patrick Norman au Rwanda : le devoir de mémoire, un documentaire inspirant de Charles Domingue sur l’impact de la pièce Quand on est en amour du chanteur québécois auprès de la population rwandaise.

« Grâce à un festival comme Vues d’Afrique, le Québec a découvert que les francophones n’étaient pas seulement en Europe, maintient Gérard Le Chêne. Ce nouveau poumon francophone a enthousiasmé pas mal de monde. Il y avait un appétit extraordinaire pour voir ces films. » Un désir qui demeure intact pour cet évènement qui permet de continuer à suivre l’actualité africaine tout en demeurant aux premières loges des découvertes cinématographiques.

Vues d’Afrique se déroule du 11 au 21 avril au Méga-Plex Guzzo du Marché central.

Consultez le site du Festival Vues d’Afrique

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