Même si elle fut confinée pendant un moment, l’année cinéma a néanmoins été marquée par un retour relatif à la normale grâce à la réouverture des salles au maximum de leur capacité, et par une offre riche et abondante. Fidèle à une tradition bien établie, voici les 10 films de 2022 qui me resteront assurément en mémoire.

Saint Omer

Alice Diop, France

En s’inspirant d’une histoire d’infanticide ayant fait les manchettes en France, la cinéaste Alice Diop (Nous) propose un film qui confronte le spectateur à ses certitudes. Le récit de Saint Omer, Grand Prix du jury à Venise, consiste essentiellement en un procès, montré du point de vue d’une autrice (Kayige Kagame) ayant le projet d’écrire un ouvrage en traçant un parallèle avec Médée, personnage de la mythologie grecque. La cinéaste aborde ainsi certains traits de société de façon très subtile, notamment à propos des biais collectivement entretenus envers les citoyens venus d’ailleurs. Grâce à une approche naturaliste, très dépouillée, une mise en scène dénuée de tout artifice, Alice Diop nous a offert le film le plus puissant de 2022.

En salle dès le 13 janvier

The Fabelmans (Les Fabelman)

Steven Spielberg, États-Unis

The Fabelmans (Les Fabelman en version française) est à la fois une ode au 7e art et une lettre d’amour que Steven Spielberg envoie à ses parents. Le réalisateur d’E.T., fabuleux conteur d’histoires, y raconte comment sa vocation est intrinsèquement liée à son histoire familiale et personnelle. Par l’entremise de son propre parcours, le cinéaste nous offre ainsi, sans aucun didactisme, une remarquable leçon de cinéma, de laquelle ressort en outre la valeur des images, la puissance qu’elles peuvent contenir, et l’usage qu’on en fait. Une fois de plus, Spielberg nous offre un film très riche, très émouvant, truffé de clins d’œil, duquel transpire dans chaque plan un amour du cinéma indéfectible. Et inaltérable.

En salle

Guillermo del Toro’s Pinocchio (Pinocchio par Guillermo del Toro)

Guillermo del Toro et Mark Gustafson, États-Unis/Mexique

La grande réussite de cette libre adaptation du célèbre conte de Collodi, dont le récit a été transposé dans les années 1930, est d’avoir écarté d’emblée l’aspect moralisateur qu’on tend à coller habituellement à un conte célébrant les vertus de l’obéissance chez les enfants. L’animation image par image (stop motion) est d’une telle qualité que les personnages deviennent bien réels à l’écran, au point où l’émotion est parfois poignante. Le personnage de Geppetto, homme endeuillé à jamais qui défie le destin en construisant sa marionnette de bois, n’a d’ailleurs jamais été aussi émouvant, aussi profond. Ce Pinocchio est sans contredit l’un des films les plus accomplis de Guillermo del Toro.

Sur Netflix

Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois)

Daniel Scheinert et Daniel Kwan, États-Unis

Rarement a-t-on l’occasion de voir un film aussi délirant, aussi fou, aussi éclaté. Des gags outranciers très assumés côtoient des scènes d’action parfaitement réglées, et le montage, étourdissant, est mis au service d’une histoire complètement insensée qui, pourtant, finit par avoir un sens. Dan Kwan et Daniel Scheinert nous entraînent dans un récit où chacun des personnages a plusieurs alter ego dans le multivers. Mais n’attendez pas ici un monde à la Marvel. Les Daniel préfèrent de loin utiliser le concept pour simplement laisser libre cours à leur humour, toujours étonnant. Il est aussi très réjouissant de voir Michelle Yeoh se prêter à une expérience aussi transgressive, tout comme Jamie Lee Curtis.

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Illusions perdues

Xavier Giannoli, France

Un film ambitieux, dans la plus pure tradition du genre. Il n’y a pourtant rien d’ampoulé dans cette adaptation d’Un grand homme de province à Paris, la deuxième partie du roman classique d’Honoré de Balzac, que porte à l’écran Xavier Giannoli. Bien que le réalisateur de Quand j’étais chanteur et Marguerite propose une fresque somptueuse en disposant visiblement des moyens de ses ambitions, sa vision d’Illusions perdues reste beaucoup plus romanesque qu’académique. Et s’ancre dans un esprit bien contemporain, même si cette histoire hautement cynique, campée dans une société où priment les faux-semblants, a lieu à une autre époque. Dans la lignée de Cyrano de Bergerac, Ridicule et autres Reine Margot, on inscrira Illusions perdues parmi les grands classiques du cinéma historique français.

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The Banshees of Inisherin

Martin McDonagh, Irlande

Il y a d’abord ce ton tragicomique, maintenu pendant toute la durée du récit. Puis, il y a le thème principal, très rarement abordé : la fin d’une amitié entre deux hommes, franchement exprimée, et les conséquences qu’elle entraîne. Campant son récit dans un petit village isolé dans une île côtière irlandaise en 1923, Martin McDonagh (Three Billboards Outside Ebbing, Missouri) a fait appel aux deux interprètes d’In Bruges, Colin Farrell et Brendan Gleeson, pour moduler habilement une histoire qui fait rire et qui émeut. Lauréat du prix du meilleur scénario ainsi que d’un prix d’interprétation pour Colin Farrell à la Mostra de Venise, The Banshees of Inisherin est aussi un film visuellement splendide.

Bientôt en vidéo sur demande

Viking

Stéphane Lafleur, Québec

Ce film cadre parfaitement dans l’univers décalé de Stéphane Lafleur. En privilégiant toujours cet humour en creux, très pince-sans-rire, le cinéaste s’aventure sur l’un des territoires les plus difficiles à explorer, soit celui où la nature profonde d’individus doit se dévoiler à travers les situations les plus absurdes. Truffé de clins d’œil, Viking explore ainsi les confins de la condition humaine, particulièrement le choc entre les ambitions existentielles et la réalité, tout en apostrophant au passage des thèmes plus larges. En filigrane se glisse le rapport qu’entretient le Québec envers les États-Unis sur le plan culturel. Le cinéaste y révèle quelque chose de notre humanité tout en extirpant l’humour intrinsèque qui en découle, parfois même avec poésie. De la haute voltige.

Offert en vidéo sur demande

Aftersun (Sous le soleil)

Charlotte Wells, Royaume-Uni

Les relations entre un père et sa fille préadolescente ont rarement été traitées d’aussi belle façon. S’inspirant de sa propre histoire, la réalisatrice écossaise Charlotte Wells propose un film touchant, teinté de nostalgie, porté par deux acteurs formidables : Frankie Corio et Paul Mescal. Le récit, tout simple, est construit autour des souvenirs que garde Sophie, maintenant adulte, d’un voyage en Turquie qu’elle a fait seule avec son père dans les années 1990. Sans aucun effet dramatique, la cinéaste s’attarde à décrire comment deux personnages déjà fortement liés peuvent s’apprivoiser encore davantage. C’est fascinant à voir, comme un cliché capté avec un appareil photo Polaroid qui apparaît progressivement.

En vidéo sur demande à compter du 17 janvier

L’événement

Audrey Diwan, France

L’adaptation cinématographique qu’Audrey Diwan a tirée du récit autobiographique d’Annie Ernaux est à la fois si sensible et puissante qu’elle en a obtenu l’an dernier le Lion d’or à la Mostra de Venise. À une époque où le droit à l’avortement est remis en cause dans certaines sociétés, aux États-Unis notamment, ce drame campé au début des années 1960 en France, à une époque où l’interruption de grossesse était illégale, prend évidemment une résonance particulière. Anamaria Vortolomei incarne de façon remarquable cette étudiante qui, tombée enceinte, refuse ce coup du destin et se voit obligée de recourir à des services clandestins pour avorter. À travers l’histoire d’Annie Ernaux, la cinéaste fait magnifiquement écho à une détresse intérieure trop souvent vécue dans la solitude.

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Bardo, fausse chronique de quelques vérités

Alejandro González Iñárritu, Mexique

Ce film découle du profond questionnement existentiel d’un réalisateur maintenant installé à Los Angeles depuis plus de 20 ans. En y allant d’envolées souvent surréalistes, le cinéaste mexicano-américain propose une réflexion sur son propre parcours, à travers le destin d’un homme toujours habité par l’état d’esprit de son pays d’origine. Celui qui nous a aussi offert Babel et Biutiful donne le ton d’entrée de jeu en proposant un monde où l’onirisme prend le pas sur la réalité. Ponctué de séquences visuellement très fortes, nourri d’observations sociales et politiques très senties, Bardo paraîtra sans doute trop foisonnant pour faire l’unanimité, mais le fait est que ce film comporte d’immenses moments de cinéma, orchestrés par l’un des plus grands cinéastes contemporains.

Sur Netflix