À force de tourner des courts métrages sur sa grand-mère Imelda, il fallait s’attendre à ce qu’un jour Martin Villeneuve (Mars et Avril) en fasse un film. Huit ans après la sortie du premier court qui a suivi la mort de son aïeule, voici donc Les 12 travaux d’Imelda, « une histoire presque vraie » dans laquelle le réalisateur incarne… sa grand-mère.

Dès qu’il parle de sa grand-mère Imelda, Martin Villeneuve s’anime. « C’était un personnage très théâtral, nous dit-il. Elle déménageait, pour vrai. Elle pouvait être à la fois sclérosée, en colère, amère, détestable, et en même temps, elle avait un grand cœur, elle était super généreuse et pleine d’amour. C’est le paradoxe entre les deux qui est intéressant. »

Le premier court métrage qu’il a réalisé sur elle, il l’a tourné un an après la mort de celle-ci – en 2012, à l’âge de 101 ans ! – à la suite de la vente de sa maison, à Gentilly.

« C’était pour faire rire ma famille, je n’avais pas d’autres prétentions que ça, on était quatre sur le plateau de tournage. Mes amis m’ont maquillé, je portais ses vêtements, et je m’adressais directement à la caméra. Mais le film a remporté un certain succès, au-delà de mes attentes… »

La productrice Nicole Robert lui propose alors de faire un long métrage, mais Martin Villeneuve n’obtiendra jamais le financement public souhaité, malgré les neuf versions de son scénario soumises à la SODEC. On pourrait presque parler des 12 travaux de Martin Villeneuve…

Robert Lepage et Ginette Reno, qui avaient tous deux accepté de travailler avec lui sur le projet de long métrage, ont accepté de poursuivre l’aventure… bénévolement. Se sont ajoutés d’autres comédiens de talent (tout aussi bénévoles) pour incarner les autres membres de la famille : Michel Barrette, Anne-Marie Cadieux, Antoine Bertrand, Yves Jacques, Lynda Beaulieu et Marc-François Blondin.

« C’était du love money, nous dit Martin Villeneuve, c’est un cadeau de la vie. » Avec le soutien du producteur Danny Lennon, il a donc réalisé une série de films courts qui ont formé la matière première de ce long métrage (sans budget) tourné pendant la pandémie. Pour les remercier, il leur a offert un accessoire ayant appartenu à sa grand-mère. « Une façon de leur donner une partie du personnage » et de « mettre fin à ce cycle ».

N’empêche, la décision d’incarner sa grand-mère, une sorte de Tatie Danielle québécoise, n’est pas un pari sans risque. Le réalisateur n’a-t-il pas eu peur de verser dans la caricature ?

« J’ai voulu me faire plaisir, répond-il. Le personnage de ma grand-mère, que je connais intimement, est fascinant, il m’a beaucoup marqué, et depuis que je suis très jeune que j’en fais une interprétation qui a toujours été communicative. Dans ce contexte, je trouve ça d’autant plus intéressant que ce soit son petit-fils qui la joue. Mon père me dit que lorsqu’il ferme les yeux, il ne peut pas faire la différence entre elle et moi ! »

Jamais Martin Villeneuve n’aurait fait ce film du vivant d’Imelda Turcotte Villeneuve, qui n’appréciait pas tant ses imitations quand il s’y risquait (« elle pensait que je riais d’elle », dit-il), mais qu’aurait pensé sa grand-mère en voyant le film aujourd’hui ?

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le réalisateur Martin Villeneuve

J’ai beaucoup rêvé à Imelda pendant le tournage, et soit elle était en crisse, soit elle était aimante. Et c’était vraiment les deux pôles de ma grand-mère, il y avait une switch on et off, il n’y avait pas d’entre-deux. Donc, je pense qu’elle aurait été fière que sa famille réalise son rêve d’être actrice, mais elle aurait été en crisse, parce que ce n’est probablement pas comme ça qu’elle se voit.

Martin Villeneuve

Denis Villeneuve, son frère, est gentiment écorché dans le film. Dans une scène hilarante, toute la famille se rend au chevet d’Imelda après qu’elle se fut étouffée en mangeant des « carrés congolais » (?), sauf Denis, qui est en tournage à l’étranger… Il s’apprête à « transformer une voiture en poisson », dit-il à son père Jean (Robert Lepage). Son portrait est d’ailleurs suspendu au-dessus du lit de sa grand-mère. Manifestement, Denis était son chouchou… Y aurait-il une rivalité entre les deux frères ?

« Pas du tout, s’esclaffe Martin Villeneuve. C’est fait avec beaucoup d’amour. D’abord, toutes les scènes ont été autorisées par les membres de ma famille parce que j’utilise les vrais noms. Denis s’est rappelé que sa photo était accrochée au mur du foyer de sa grand-mère, à côté de celle de Pipo, le chien. Donc, j’ai imaginé qu’il tournait à l’étranger, et ne pouvait venir. Quand il a vu la séquence [où Imelda dit : “Il a du talent, Denis, mais il ne gagnera jamais sa vie avec ça”, et elle signe un chèque de 100 $ à son intention], Denis a hurlé de rire. Il faut savoir que mon frère a beaucoup d’humour. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le réalisateur Martin Villeneuve

Tout est-il vrai dans le film ? « Oui, répond Martin Villeneuve. La scène au foyer, la partie de bras de fer qu’Imelda gagne contre notre cousin Gros Louis, tout le parcours d’Imelda, ses confidences sur sa jeunesse, sa correspondance avec Herman Landry, tout ça est vrai. Il y a des choses que j’ai apprises en lisant des lettres que j’ai trouvées. La seule chose qui n’est pas tout à fait vraie, c’est le dénouement de la relation entre les deux grands-mères… C’est pour ça que c’est “presque” une histoire vraie. Mais tout le reste est authentique. »

En explorant les côtés sombre et lumineux du personnage de sa grand-mère, ce film lui a aussi permis de « mettre un baume sur des blessures familiales », précise-t-il. Avec la bénédiction de sa famille.

« Dans son processus, le film emprunte un peu à la thérapie des constellations familiales, explique-t-il. C’est-à-dire projeter sur d’autres des conflits familiaux non résolus pour parvenir à une forme de guérison. Moi, j’ai passé plusieurs années à fouiller la vie de ma grand-mère et j’ai découvert plein de choses… On se rend compte qu’on hérite de blessures qui ne sont pas nécessairement les nôtres, qui viennent du passé, mais avec lesquelles il faut négocier. »

Pendant tout le tournage, Martin Villeneuve parle de « petits miracles veillés d’en haut ». « Normalement, un film sans budget, c’est la catastrophe. Là, déjà en partant, j’avais une distribution [bénévole] extraordinaire. Puis, dès que j’avais besoin de quelque chose, je me tournais vers les réseaux sociaux, et je trouvais ! Par exemple, j’ai trouvé une Chrysler Imperial 59 pour la voiture de ma grand-mère. Pareil pour le tracteur de mon oncle André, j’ai eu 400 propositions ! Donc, y a eu plein de belles choses comme ça qui sont arrivées. »

Martin Villeneuve étant un fan de BD – il travaille sur une adaptation télé de la série Red Ketchup (de Réal Godbout et Pierre Fournier), qui sera diffusée sur Télétoon en 2023 –, on en déduit que Les 12 travaux d’Imelda est une référence aux 12 travaux d’Astérix…

« Oui, mais ce sont aussi les 12 travaux d’Hercule, répond-il. C’est l’idée des défis mythologiques. Qu’est-ce qui représente un défi ou une épreuve ou une étape importante de vie pour une femme de 89-90 ans ? Je voulais montrer que ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on n’apprend plus ou qu’on ne peut plus grandir. Dans les 12 dernières années de sa vie, Imelda a fait des choses extraordinaires, qui ont marqué toute ma famille. »

Pour le meilleur et pour le pire.

Les 12 travaux d’Imelda est distribué par Maison 4 : 3. Il sortira en salle le 28 octobre prochain.