Le premier film que propose Todd Field depuis Little Children n’a pas déçu les attentes. Dans la peau d’une cheffe d’orchestre se consacrant entièrement à son art pour mieux effacer quelques épisodes d’un passé trouble, Cate Blanchett offre, une fois de plus, une composition exceptionnelle.

Cate Blanchett est une actrice d’exception. Tout le monde en convient. La 79e Mostra de Venise en est seulement à sa 2e journée que, déjà, celle qui fut primée ici en 2007 grâce à sa performance dans I’m Not There, de Todd Haynes, se place d’emblée parmi les favorites.

Écrit spécifiquement pour elle, le scénario de Todd Field, qui revient enfin au cinéma après 16 années d’absence (au cours desquelles plusieurs de ses projets ont avorté), aborde des thèmes très contemporains dans une histoire campée dans le monde de la musique classique. Il y est notamment question de la culture de l’annulation et du mouvement #metoo, mais TÁR est avant tout le portrait d’une femme talentueuse, consumée de l’intérieur autant par sa passion que par ses zones d’ombre. Dans ce cas, la musique peut ainsi devenir salvatrice. Ou malsaine, c’est selon. D’une certaine façon remonte le souvenir de La pianiste, de Michael Haneke (avec Isabelle Huppert), bien que les histoires soient complètement différentes. Même rigueur dans la pratique de l’art, même souffrance, parfois. Une austérité, aussi.

Dès le départ, on sent bien que Lydia Tár, que joue Cate Blanchett, ne conçoit pas son travail de manière traditionnelle. Cheffe d’un important orchestre symphonique à Berlin, première femme à occuper cette fonction dans la capitale allemande, Lydia est également intéressée par les compositeurs contemporains et les musiques venues d’ailleurs. C’est ce qu’on suggère d’entrée de jeu en laissant au début le générique défiler au son d’une musique que la cheffe a sans doute découverte au fil de ses voyages dans le monde.

Aussi découvre-t-on un peu l’approche de la musicienne au cours d’une interview-conférence qu’elle accorde devant public, au cours de laquelle on peut relever la nature très complexe de l’artiste.

Une accumulation d’évènements

Alors qu’elle s’apprête à publier une autobiographie, au moment où elle prépare également un cycle Mahler avec son orchestre, un premier écueil survient lors d’une classe spéciale que Lydia, au cours d’un voyage à New York, offre à de futurs chefs d’orchestre. Une discussion avec l’un des étudiants s’envenime. Ce dernier refuse d’écouter – encore plus de jouer – du Jean-Sébastien Bach, estimant que le comportement de cet homme blanc, hétérosexuel et misogyne, père de 20 enfants, ne correspond pas du tout à ses valeurs d’inclusion et de diversité. La réplique de Lydia, qui a suscité des applaudissements à la projection destinée à la presse, est si cinglante que le jeune homme décide tout simplement de quitter la salle, non sans avoir proféré quelques injures au préalable.

L’évènement pourrait être banal ; il ne l’est pas.

Le récit de TÁR est d’ailleurs construit de telle sorte qu’une accumulation d’épisodes de ce genre, de la part d’une cheffe qui peut avoir tendance à être vraiment très exigeante, peut aboutir à des conséquences sur le plan professionnel, mais aussi dans la vie personnelle (Nina Hoss incarne son amoureuse).

La musique occupe évidemment une place importante. Todd Field utilise à bon escient la trame musicale de la compositrice islandaise Hildur Guðnadóttir (Sicario, Joker), tout autant que la puissance d’un grand orchestre.

PHOTO VIANNEY LE CAER, ASSOCIATED PRESS

Nina Hoss, Noémie Merlant, Cate Blanchett et Sophie Kauer à la première du film TÁR

Le dénouement du film est un peu surprenant et s’articule moins harmonieusement au reste de l’histoire, mais il reste que Cate Blanchett, qui réussit l’exploit de se réinventer à chaque rôle, livre sa partition en vraie virtuose.

Lors d’une conférence de presse tenue jeudi, l’actrice australienne a déclaré qu’en lisant les tout premiers mots du scénario qu’a écrit Todd Field, elle savait d’instinct qu’elle aurait un personnage complexe à défendre.

« Lydia est pétrie de contradictions, mais une seule certitude est restée au fil du processus et des échanges que j’ai eus avec Todd : cette femme multiple est étrangère à elle-même. Sans rien révéler, Lydia est visiblement hantée par quelqu’un ou quelque chose faisant en sorte qu’elle a mis une partie de son passé de côté pour mieux se réinventer dans le monde musical grâce à son immense talent. Ce travail avec Todd a été fascinant à faire. »

TÁR prendra l’affiche au Québec le 7 octobre. Prédiction : on parlera de ce long métrage jusqu’au printemps prochain, pendant toute la durée de ce qu’on appelle la « saison des récompenses ».