Si E.R. Thomas avait été en Floride en mars dernier, il aurait sans doute pensé qu'il assistait au plus important regroupement de Thomas Flyer depuis la disparition de la marque en 1919.

Quatorze voitures au total, millésimes 1903 à 1911, entouraient l'increvable Thomas Flyer 1907, vedette de la course New York-Paris, sortie expressément de sa retraite au National Automobile Museum (The Harrah Collection) de Reno, au Nevada.

Quatorze grandes dames, toutes en état de marche, leurs propriétaires en tenue d'époque écoutant attentivement - certains même attendris - le récit fort coloré de Jeff Mahl, arrière-petit-fils de George Schuster, le héros de la course.

New York, le 12 février 1908. Le mercure frise le point de congélation sur Times Square, mais une foule nombreuse est venue assister au départ de cette course folle organisée par le New York Times et le quotidien parisien Le Matin. Aux côtés de la seule voiture américaine, on compte une allemande (Protos, 40 chevaux), une italienne (Züst, 40 chevaux) et trois françaises (Motobloc, 30 chevaux; Sizaire-Naudin, monocylindre 15 chevaux; De Dion, 30 chevaux).

Pire que la retraite de Russie?

À peine sorties de New York, les voitures s'enlisent déjà dans la neige profonde de la campagne américaine, démunie à cette époque de routes carrossables. Incapable de traverser la vallée de l'Hudson, la Sizaire-Naudin abandonne la partie. Treize jours plus tard, la Thomas Flyer arrive première à Chicago, les derniers 400 km ayant nécessité trois jours de lutte acharnée contre les rigueurs de l'hiver. «Pire que la retraite de Napoléon de Moscou», écrit un journaliste... Mais la course se poursuit de plus belle via l'Iowa, le Nebraska, le Colorado, le Wyoming, l'Utah, le Nevada et son infernale vallée de la Mort, pour aboutir le 24 mars dans Market Street, à San Francisco. Après 41 jours et 6170 km, la Thomas Flyer est toujours en tête.

Les organisateurs de la course ayant annulé le trajet par l'Alaska pour des raisons évidentes, la Thomas Flyer embarque pour le Japon à partir de Seattle. À Kobé, la course reprend le 13 mai. Il s'agit à présent d'affronter des «chemins de montagne dont certains sont à peine plus larges qu'un sentier pédestre», raconte Jeff Mahl. Puis, c'est la traversée en bateau jusqu'à Vladivostok, où il pleut sans arrêt depuis plus de deux semaines, et où champs et chemins sont devenus des mers de boue. C'est là que l'équipage de la Thomas Flyer vient au secours de la Protos, qui a pratiquement sombré dans la boue. La photo prise par le correspondant du New York Times a servi de modèle pour le célèbre tableau réalisé par le peintre Peter Helck.

Contravention pour phare cassé

Sur le chemin de fer trans-sibérien, qu'il emprunte pour éviter les tronçons les plus difficiles, le valeureux équipage américain casse sa transmission. Il doit faire une halte forcée et attendre plusieurs jours l'arrivée d'une transmission de rechange.

C'est alors que la Protos, qui a évité le Japon pour passer directement en Russie, prend les devants et arrive à Paris au petit matin du 26 juillet. Mais comme il n'a pas parcouru tout le trajet prescrit, l'équipage allemand est pénalisé, et c'est finalement la Thomas Flyer qui entre en France, à Fumay, le 30 juillet. Une foule dense s'est massée sur une quarantaine de kilomètres, jusqu'aux bureaux du quotidien Le Matin, pour acclamer l'équipage vainqueur. Juste avant son arrivée, un gendarme zélé arrête la vaillante américaine parce qu'elle a un phare brisé... On raconte qu'un cycliste a démonté le phare de son vélo pour le poser sur la Thomas et lui permettre de traverser le fil d'arrivée sous les applaudissements nourris des Parisiens.

Récupérée dans un triste état par William Harrah, la Thomas Flyer a été soigneusement remise dans l'état dans lequel elle a terminé la course, sous l'oeil attentif de George Schuster chargé au préalable d'authentifier l'épave, ce qu'il fit dans les années 60, reconnaissant la réparation de fortune effectuée au châssis en Sibérie au moyen des restes d'une locomotive à vapeur...

Plus de 35 000 km en 169 jours, des dizaines d'anecdotes éloquemment racontées par Jeff Mahl... And the rest is history, comme on dit si bien en anglais.