«C'est un roc! C'est un pic! C'est un cap! Que dis-je, c'est un cap?... C'est une péninsule!» lançait Cyrano de Bergerac dans sa célèbre tirade au pauvre vicomte qui avait osé se moquer de son gigantesque nez.

«C'est un dentier de géant! C'est un formidable râtelier! C'est une cascade de chrome! Que dis-je, c'est une cascade?... C'est une avalanche!» se serait écrié l'indomptable Cyrano à la vue de cette incroyable calandre qui orne la scintillante devanture du coupé Buick Super 8 Riviera 1950.

Une voiture qui compte parmi les rares Milestone Cars (voitures marquantes) du patrimoine automobile américain, d'une part à cause du style à toit rigide et à deux portes, inauguré en 1949 par GM, avec ses Buick Riviera, Cadillac Coupe de Ville et Oldsmobile Holiday et, d'autre part, en raison de ses lignes voluptueuses. Sans aucun doute, une des voitures les plus sexy de l'époque.

C'est à Claude Morin, de Coaticook, que l'on doit la présence de cette remarquable Buick au Québec. Ce vendeur de sapins de Noël l'avait découverte en 1982 sur le bord d'une route aux États-Unis et avait eu la bonne idée de la ramener chez lui pour une restauration complète. Mais M. Morin aime les voitures «musclées», notamment les Mustang. Et la grande Buick, malgré son huit cylindres en ligne, ne répondait pas à sa soif de puissance. Précisons que la belle est munie de la transmission Dynaflow à deux rapports, célèbre tant pour sa souplesse que pour la mollesse de ses accélérations. N'empêche que la Dynaflow, lancée en 1949, marque une étape importante du développement de la transmission automatique.

En 1997, Claude Morin finit donc par vendre la Buick à Serge Lafontaine, de Repentigny, qui cherchait une Buick 1953, question de marquer les 50 ans de cette vieille marque américaine.

Pesante mais abordable

«Je n'ai pas pu résister à ses courbes, à son esthétique», avoue Serge Lafontaine, très amoureux de sa Buick Riviera Super 8. «Elle a 58 ans et marque 58 000 milles au compteur. C'est pourquoi je parcours tous les ans 1000 milles, question de conserver cette correspondance. C'est très agréable de rouler à deux, toutes fenêtres baissées et collés sur la grande banquette»

 

Ce modèle à succès a contribué à l'essor des ventes de Buick. D'ailleurs, tous les modèles de la marque avaient la faveur du public, car Buick, c'était une très bonne affaire: grosse voiture pesante mais abordable. En fait, Buick se vantait dans ses publicités du fait que ses voitures étaient les moins chères à la livre, soit environ 60 cents la livre pour une Buick Roadmaster, comparativement à 80 cents pour une Cadillac 62! En outre, la Buick ne coûtait que 253$ de plus qu'une Chevrolet, mais elle était plus longue et plus large et animée par un huit cylindres au lieu du six cylindres de Chevrolet. Sans oublier les célèbres Ventiports chromés que l'on voit sur le côté des ailes avant et le pare-brise d'une seule pièce, inauguré aussi en 1950.

 

Les Buick Series 50, qui sont nées en 1930 pour remplacer les Series 121, poursuivent leur carrière jusqu'en 1959 et constituent le modèle le plus populaire de Buick. Elles se déclinent en version berline deux et quatre portes, en coupé deux portes, en cabriolet deux portes (le plus prisé) et en familiale quatre portes. Stylées, soigneusement assemblées, ces belles américaines témoignaient de la réussite sociale de leur propriétaire, malgré leur prix relativement abordable.

 

Le huit cylindres en ligne de 4,3 litres (263 pouces cubes) de 128 chevaux permet à l'élégant coupé de 1720 kg (3790 lb) de rouler à bonne allure tout en étant relativement économique, et ce, grâce aux lignes profilées. «À cause de la forte demande, au Québec, ce modèle n'était pas vendu en concession; il fallait le commander sur catalogue», précise Serge Lafontaine.

Aujourd'hui, les voitures ne se vendent plus «à la livre» ni par catalogue; les chromes se font plus discrets et les calandres aux sculptures titanesques ne sont plus de mise dans un univers automobile où priment les pare-chocs destinés à parer les chocs; les sièges baquets interdisent de rouler en amoureux et l'inévitable climatisation nous fait oublier de baisser les fenêtres pour le plaisir de se faire décoiffer par le vent.

 

Autre époque, autres moeurs. N'empêche que sur ses plus récents millésimes, Buick fait un petit clin d'oeil à son passé en sortant les Ventiports des oubliettes.