Figure légendaire de l'industrie automobile, Paul Frère s'est éteint la semaine dernière, à l'âge de 91 ans. Belge de naissance, il traversa l'univers motorisé pendant plus de six décennies avec un enthousiasme inaltérable. L'automobile a perdu l'un de ses pionniers.

En plus de 60 ans d'automobile, il aura tout fait. Y compris piloter en Grand Prix et dans des épreuves d'endurance. Il apparut plusieurs fois dans la BD Michel Vaillant, frotta sur les circuits les roues de ses bolides à celles de Fangio, Moss et Hawthorn. Homme étonnement modeste, Paul Frère aura été, à l'image des LJK Setright (disparu lui aussi), José Rosinski et plus près de nous Jacques Duval, le guide de plusieurs journalistes automobiles qui, chaque fois, s'étonnaient de l'humilité du personnage. Jamais il ne cherchait à épater la galerie, mais son existence avait été si dense et si heureuse qu'il se réjouissait d'en partager les meilleurs souvenirs. Il avait la plume piquante, le jugement sûr et surtout il avait gardé l'enthousiasme juvénile de ses premières années.

Ingénieur de formation, Paul Frère manifesta sa passion pour l'automobile en soumettant une thèse sur «l'influence de la forme des chambres de combustion sur le rendement d'un moteur à combustion interne». Mais c'est un essai sur la traction qu'il fit parvenir à l'âge de 26 ans au magazine La Vie automobile qui lui ouvrit toutes grandes les portes de sa future profession. Cette première réflexion l'amena à écrire son premier article et à être ensuite promu rédacteur en chef de la revue Belgique Automobile. Sa formation académique, son anglais parfaitement maîtrisé (il était collaborateur attitré à la revue américaine Road & Track), sa magnifique plume et son enthousiasme incomparable lui ouvrirent peu à peu toutes les portes. À tous les niveaux, il fit autorité.

Dans un entretien qu'il accordait en 1999, à quelques mois de la remise du prix qui allait couronner le modèle T de Ford «voiture du siècle», Paul Frère estimait que quatre véhicules méritaient pareil honneur: la Citroën DS, la Mini, l'Autobianchi Primula et l'Audi (Ur) Quattro (NDLR: ces voitures sont respectivement apparues en 1955, 1959, 1964 et 1980).

La DS possédait, selon lui, de nombreuses fonctions reprises sur des modèles actuels d'une manière bien différente et bien évidemment plus aboutie, notamment grâce à l'électronique. Pour nous en convaincre, il citait alors les suspensions pilotées électroniquement inspirées de la suspension hydraulique, la boîte de vitesses automatique, le répartiteur de freinage avant-arrière ou encore les freins à haute pression et les disques avant suspendus.

La Mini figure à son palmarès personnel pour avoir été la première traction vraiment compacte, grâce à l'implantation transversale de son moteur. Même coup de coeur pour la Primula, également une traction à moteur transversal, mais avec une solution technique parfaitement adaptée, à savoir une boîte de vitesse en ligne et non plus placée sous le moteur. «La Mini a été le premier déclic, la Primula, quant à elle, a apporté la solution définitive», disait-il. Et il y avait aussi la Ur-Quattro. «Même s'il y a eu d'autres modèles à transmission intégrale avant elle (ndlr: Jensen et Subaru), la Quattro, avec ses quatre roues motrices en permanence, est à l'origine de tout ce qui se fait aujourd'hui.»

Témoin critique et privilégié des plus grandes évolutions de l'automobile, Paul Frère considérait que les plus grandes avancées techniques des années à venir porteraient sur la généralisation de matériaux plus légers (aluminium et carbone) et le développement du moteur diesel. La pile à combustible? «Sans doute dans une quarantaine d'années, pensait-il, mais je ne serai plus ici pour la voir.»

Au cours de sa très longue carrière, il multiplia les rôles, les missions, les métiers dans son univers de prédilection. De l'automobile, plus que quiconque, il connut toutes les facettes: pilote, organisateur d'épreuves, journaliste pour des revues américaines, belges, allemandes et japonaises, manager de pilotes, et même conseiller. En fait parallèlement à toutes ses activités, Paul Frère a aussi oeuvré - sans que sa crédibilité n'en soit entachée - à titre de consultant auprès de quelques grands constructeurs automobiles et fut même associé au développement de quelques modèles élitistes comme la Porsche 911, à laquelle il consacrera quelques ouvrages, et à l'Acura NSX. Sa dernière contribution dans ce domaine, il la fit à l'âge de 89 ans, au volant de l'actuelle Civic Type R. Quelques semaines seulement après avoir piloté l'Audi R10 d'endurance et signé des temps qui ont médusé les observateurs présents.

Au-delà de la course et des voitures, Paul Frère aimait aussi la moto (il en fit jusqu'à l'âge de 75 ans), la nage et l'aviron, dont il fut champion universitaire.