«Je ne faisais que suivre le trafic!» Cette explication est souvent donnée aux policiers qui donnent des contraventions pour excès de vitesse. Une explication si courante et discréditée qu'elle suscite généralement des sourires moqueurs.

«Je ne faisais que suivre le trafic!» Cette explication est souvent donnée aux policiers qui donnent des contraventions pour excès de vitesse. Une explication si courante et discréditée qu'elle suscite généralement des sourires moqueurs.

Mais en fait, il s'agit probablement d'un mensonge inconscient, selon une récente étude suédoise. Les automobilistes ont tendance à surestimer de 10 à 20% la vitesse des autres conducteurs, affirme Lars Aberg, psychologue de l'Université Dalarna, à Borlänge dans le centre de la Suède.

«C'est un problème mental, pas physique, explique M. Aberg, en entrevue téléphonique. L'expérience a été faite dans différents pays, sous différentes conditions routières, et partout les résultats sont identiques: les automobilistes évaluent assez bien leur propre vitesse, mais surévaluent presque systématiquement celle des autres voitures. Il s'agit probablement de la même tendance qui nous pousse instinctivement à considérer que nous avons raison et que les autres ont tort.»

Les expériences les plus concluantes ont été faites sur des routes à quatre voies, deux dans chaque direction, où la vitesse de chacun est généralement constante. Les automobilistes sont en bonne position pour évaluer la vitesse des gens qui les dépassent.

Dans deux études en Suède et au Danemark, des automobilistes circulant dans une zone de 50 km/h estimaient en moyenne leur vitesse à 52 km/h, et celle des autres automobilistes à 63 km/h. En fait, la vitesse moyenne était de 52 km/h, et seulement 16 à 23% des automobilistes dépassaient la limite de plus de 10 km/h. Les automobilistes, eux, estimaient que plus de la moitié des voitures faisaient des excès de vitesse de plus de 10 km/h. Une autre étude, en Suède dans une zone de 90 km/h, avait des résultats similaires: la vitesse des autres automobilistes était surévaluée de 10 km/h.

Cela signifie qu'il ne s'agit pas d'une illusion d'optique, selon M. Aberg. Sinon, l'erreur d'estimation aurait été proportionnelle à la vitesse. Or, l'erreur était toujours de 10 km/h. «Il s'agit donc d'un chiffre symbolique qui reflète une conviction a priori que les autres automobilistes vont trop vite», dit le psychologue suédois.

Pour enlever l'effet de l'indicateur de vitesse, qui pourrait empêcher les automobilistes de sous-estimer leur propre vitesse, les chercheurs demandaient aux cobayes s'ils empruntaient régulièrement cette route, et si oui, à quelle vitesse ils roulaient habituellement.

Le principal impact de ce biais est l'augmentation de la vitesse moyenne sur les routes. «Comme les gens pensent que les autres vont trop vite, ils se disent "moi aussi j'ai le droit", avance M. Aberg. Il y a probablement une spirale d'entraînement qui explique en partie les excès de vitesse chroniques sur les routes.»

Une autre conséquence est diamétralement opposée. «Il est fort probable que les appels à une plus forte présence policière sur les routes soit en partie liée à la fausse impression que les autres automobilistes sont de mauvais conducteurs qui vont trop vite et enfreignent régulièrement les règlements, dit le psychologue suédois. Assez régulièrement, quand les policiers font une opération dans une zone où il y a beaucoup de plaintes sur le non-respect du code de la route, ils se rendent compte que le problème n'est pas si grave.»

Cette théorie est corroborée par des résultats que M. Aberg a présentés à une conférence de l'Organisation pour la coopération internationale sur les théories et concepts en sécurité routière, à l'automne 2005 à Helsinki, en Finlande. Avec des collègues suédois, il a interrogé plus de 2000 automobilistes sur la fréquence d'une trentaine d'infractions et erreurs de conduite. D'une manière générale, les cobayes jugeaient plus sévèrement la conduite des autres que la leur. Dans certains cas, comme par exemple le fait de suivre de trop près, de couper ou de se garer illégalement pour une courte emplette, la différence allait du simple au double.

«Nous pensons que les résultats sur la vitesse peuvent être appliqués ici, dit M. Aberg. Les résultats que nous avons obtenus ne s'expliquent pas par une tendance à sous-estimer ses propres infractions, mais plutôt à surestimer celles des autres.»

Pour joindre notre journaliste: mathieu.perreault@lapresse.ca