Construire une custom et réussir une custom sont deux choses bien différentes. Même Harley-Davidson, pourtant l'instigateur du genre et maître incontesté du «pout-pout!» bien cadencé, ne fait pas que des bons coups.

D'un autre côté, et bien qu'il leur ait fallu quelques décennies avant de comprendre comment réaliser une bonne custom, les constructeurs japonais introduisent aujourd'hui des machines très impressionnantes de façon régulière. La spectaculaire et novatrice Boulevard M109R lancée par Suzuki il y a deux ans laissait prévoir le meilleur pour la C109R à l'essai ici. Mais en dépit de son élégante ligne, en dépit de son moteur aussi gros que technologiquement poussé et en dépit des pièces incroyablement massives qui la composent, la C109R n'est pas réussie. Il s'agit d'une conclusion d'autant plus étonnante que la nouveauté est présentée comme le fleuron de la gamme custom de Suzuki.

En théorie, la C109R devrait être un succès. Elle est propulsée par la plus grosse mécanique de moto jamais produite par Suzuki - un V-Twin qui crache littéralement le feu sur la M109R. Sa ligne, bien que prévisible, reprend tous les détails populaires et affiche toutes les courbes à la mode. Même le système de freinage est notable puisqu'il combine les freins avant et arrière, une rareté sur une custom. Le problème est que l'ensemble n'est tout simplement pas à la hauteur des composantes individuelles.

Par exemple, alors que les impressionnantes dimensions du châssis, des suspensions et des roues devraient se traduire par une sensation de solidité et de stabilité sur la route, on sent plutôt la C109R vague et floue dans les virages. Le coupable est le gros pneu arrière qui résiste aux inclinaisons et contre lequel moto et pilote semblent constamment devoir se battre. Il s'agit d'un comportement qu'on tolère plus ou moins sur certains modèles dont le style extrême requiert ce type de pneu, mais la C109R est, au contraire, une custom classique, une moto de balade qui est même offerte en version de tourisme léger. Elle devrait être équipée d'un pneu arrière standard et offrir un comportement accessible.

Puis, il y a le moteur qu'on annonce un peu moins puissant, mais encore plus coupleux que la petite bombe qu'est le V-Twin de la M109R. En réalité, il peine à pousser de manière autoritaire le poids énorme de la C109R et semble même, étrangement, moins coupleux à bas régime que la version originale animant la M109R. Inexplicable.

Quant aux freins, si le système combiné fonctionne adéquatement, il augmente en revanche l'effort au levier de manière démesurée dans un arrêt d'urgence.

La nouvelle C109R n'est pas exempte de qualités puisqu'elle bénéficie quand même d'une partie cycle solidement construite et d'un style que la moyenne des amateurs de customs trouvera attrayant. Elle offre une position de conduite dégagée typique de ce genre de moto et propose un confort décent sur un long trajet. Et bien qu'elle soit très lourde à l'arrêt, elle camoufle plutôt bien son embonpoint une fois en mouvement. Elle est aussi mue par une mécanique relativement douce à vitesse d'autoroute et dont la sonorité et le caractère sont assez plaisants.

Mais l'impression générale qu'elle laisse demeure décevante. Comme si on avait pressé l'équipe responsable du modèle de l'amener à l'étape de la production. En ce qui me concerne, je soupçonne davantage un chargé de projet qui ne comprend pas vraiment les customs et qui a plutôt cherché, avec les meilleures intentions j'en suis sûr, à créer une machine exceptionnelle. Pour y arriver, il a conclu qu'elle devrait être plus massive que toutes les autres customs du marché et qu'elle devrait être équipée d'un de ces énormes pneus arrière si populaires ces temps-ci. Avec la M109R dans la gamme, le choix de la mécanique était évident, mais pourquoi simplement s'en tenir à un V-Twin déjà existant? Pourquoi ne pas complètement réviser celui-ci afin de le rendre encore plus plaisant?

L'installation d'un système de freinage combiné compléterait le tout en augmentant la sécurité.

Toutes ces belles intentions, aussi louables soient-elles, ne remplacent toutefois pas une bonne compréhension de l'univers custom et des préférences des amateurs de ce type de deux-roues. En redonnant à la mécanique de la C109R toute la fougue qui a fait le succès et la réputation de la M109R, en remplaçant son gros pneu arrière par un pneu normal dont la dimension ne sabotera pas les qualités du reste de la partie cycle et en ajustant le système de freinage afin qu'il fonctionne de manière plus fluide, on aurait déjà une moto bien meilleure. «Promouvoir» le chargé de projet actuel vers un autre département que celui des customs pourrait aussi être une bonne idée.

Bertrand Gahel est l'auteur du Guide de la Moto