Un groupe dirigé par un ex-président d'université a relancé ce printemps la controverse sur l'alcool au volant chez les jeunes. John McCardell, un historien qui dirigeait jusqu'à 2004 le collège Middlebury, au Vermont, fait campagne pour la réduction de l'âge légal pour boire de l'alcool. L'un de ses arguments est que la limite de 21 ans n'améliore pas le bilan routier; elle l'aggrave peut-être même.

«Les jeunes qui veulent boire doivent se cacher et aller dans des endroits éloignés, souvent en voiture», explique en entrevue téléphonique M. McCardell, dont la campagne s'appelle Choose Responsibility. «Cette loi a été conçue pour sauver des vies mais, au contraire, elle en met en danger. On a fait grand cas de la chute du nombre d'accidents liés à l'alcool qui a suivi le rehaussement de l'âge légal à 21 ans, au début des années 80. Mais le Canada a connu une chute similaire, et l'âge légal n'a pas bougé chez vous.»

Dans son rapport, Choose Responsibility rappelle que le lien entre l'âge de consommation et l'alcool au volant est ténu. Des études américaines ont observé que le nombre de délits d'alcool au volant a diminué au fur et à mesure que les différents États haussaient l'âge légal à 21 ans. Mais une diminution similaire a été observée au Canada, pays semblable aux États-Unis s'il en est, et où l'âge légal pour boire de l'alcool n'a pas bougé sensiblement durant cette période.

En réponse à la campagne de M. McCardell, l'organisme Mothers Against Drunk Driving (MADD) s'est opposé à l'abaissement de l'âge légal. Détail intéressant, la filiale canadienne de MADD suggère plutôt un âge légal de 19 ans. «L'option idéale serait d'adopter un taux limite d'alcoolémie à zéro jusqu'à l'âge de 21 ans, ce qui ne changerait rien à l'âge légal pour consommer de l'alcool», explique Marie-Claude Morin, directrice régionale pour MADD Canada à Montréal.

MADD USA est-elle d'accord avec un âge légal de 19 ans au Canada? «MADD Canada est une organisation indépendante et sait ce qui convient le mieux au Canada», a répondu Misty Moyse, de MADD USA.

Pour ce qui est des comparaisons entre l'évolution des bilans routiers canadien et américain, Mme Moyse a souligné que l'amélioration a été plus importante dans le groupe de 18-21 ans aux États-Unis, alors qu'au Canada, elle a été similaire dans tous les groupes d'âge. Par contre, Mme Moyse a ajouté que la consommation d'alcool avant l'âge légal semblait avoir augmenté au Canada, ce qui complique le portrait.

John McCardell a eu l'idée de cette campagne après avoir fait l'expérience, durant ses 13 années à la tête du collège Middlebury, de l'impossibilité de faire respecter l'âge légal de 21 ans. «Je suis moi-même parent d'adolescents. Les choix qui s'offrent aux figures d'autorité sont très frustrants. Soit on interdit toute consommation chez soi ou sur le campus, et les jeunes vont ailleurs; pas nécessairement tous, mais une proportion appréciable. Ou alors, on ferme les yeux de temps en temps pourvu qu'ils ne fassent pas de problème. Mais on enseigne ainsi aux jeunes que certaines lois n'ont pas à être respectées. C'est un drôle de message à envoyer, surtout de la part de gens qui sont censés leur enseigner à vivre en société. Ça fera d'eux de mauvais citoyens, de mauvais automobilistes.»

L'historien américain n'a pas beaucoup d'espoir de voir sa campagne couronnée de succès, notamment parce qu'une loi fédérale réduit de 10% les subventions routières des États qui abaissent la limite de l'alcool à moins de 21 ans. Mais depuis le début de l'année, le débat a été lancé et de nombreux médias y ont fait écho. Au Dakota-du-Sud, un référendum sur la vente de bière à faible teneur d'alcool aux jeunes a été proposé.

Et à l'Université de Boston, la sociologue Lee Strunin a lancé depuis quelques années un grand projet visant à vérifier si les parents qui initient leurs enfants à boire de l'alcool socialement, aux repas, augmentent leur risque d'alcoolisme. «Au-delà de la conduite en état d'ébriété, la crainte de susciter la croissance des régions du cerveau qui répondent à l'alcool est l'une des principales raisons sous-tendant l'âge légal à 21 ans, dit Mme Strunin. Mes résultats préliminaires semblent montrer que les adolescents italiens qui boivent de l'alcool dès 14-15 ans aux repas ont une moins grande prévalence de consommation excessive, quand ils sont devenus jeunes adultes, que les jeunes Américains qui ne boivent jamais en famille avant 21 ans. Mais nous n'avons pas encore fait l'analyse de tous les facteurs confondants, alors la conclusion pourrait changer.»