Depuis une dizaine d'années, une variation sur le thème des voies réservées au covoiturage a vu le jour aux États-Unis. Il s'agit de permettre aux automobilistes en solo d'y circuler, moyennant un péage. Pour les voitures avec au moins un passager, la voie reste gratuite. Cette approche de plus en plus populaire suscite toutefois la controverse.

On les surnomme les «voies Lexus». Officiellement, il s'agit de voies HOT, pour «high occupancy and toll», ou covoiturage avec péage. Le concept est né à la fin des années 90 en Californie. Il a mis du temps à s'imposer, mais le nombre de voies HOT a doublé en cinq ans, avec plus d'une vingtaine en fonction.

«Avec la crise financière, les gouvernements locaux ont eu de moins en moins d'argent à consacrer aux infrastructures», explique Katie Turnbull, directrice de l'Institut sur les transports de l'Université Texas A&M, qui suit de près le nombre de voies HOT aux États-Unis. «On a essayé d'en faire plus avec moins. Une voie pour covoiturage sous-utilisée devient un gaspillage de fonds. Plutôt que de cesser de faire la promotion du covoiturage, on se tourne de plus en plus vers l'optimisation de ces voies.»

Pour que la circulation dans une voie de covoiturage soit fluide, il ne faut pas dépasser de 1200 à 1500 véhicules par heure, selon sa géométrie, affirme l'ingénieure texane. «Des fois, on est à peu près à ce niveau, dit-elle. Mais il arrive qu'elle atteigne 50% de sa capacité. D'autres fois, c'est le contraire, alors il faut restreindre le covoiturage aux voitures ayant au moins deux passagers. Encore là, le péage pour les autres automobilistes peut être utile, pour éviter qu'on passe d'une situation d'embouteillage avec le covoiturage avec un passager à une situation de sous-utilisation avec le covoiturage avec deux passagers.»

Pour éviter les bouchons, le péage varie plusieurs fois durant les heures de pointe. Seuls les automobilistes munis d'un transpondeur peuvent accéder aux voies HOT, pour faciliter la surveillance policière. Selon un récent article du Wall Street Journal, il n'est pas rare de friser le dollar par mille parcouru, soit 0,63$/km. Un nouveau projet en Californie prévoit même un tarif de 1,40$US par mille. Appliqués au pont Champlain, ces taux seraient donc de 2 à 2,5 fois plus élevés que celui du pont de l'A25.

Opposition de toutes parts

Au début de l'année, des politiciens républicains ont dénoncé comme une «double taxation» l'imposition de nouvelles voies HOT dans la région de Los Angeles. Au même moment, l'Université Berkeley tenait une conférence sur les voies HOT, au cours de laquelle plusieurs groupes les ont dénoncées comme élitistes ou néfastes au covoiturage.

«Les quelques études sur le sujet montrent que la diversité des modèles de voitures n'est pas statistiquement différente de celle des autres voies», souligne Mme Turnbull. Le responsable des affaires gouvernementales à l'association des opérateurs de péage IBTTA, Neil Gray, ajoute pour sa part que pour une famille à faible revenu, assumer le coût d'un péage peut valoir la peine pour éviter des frais de retard à la garderie, voire une perte d'emploi pour cause de retards répétés. «La classe moyenne a moins accès que les riches à des horaires flexibles et à de l'aide pour la gestion domestique», précise M. Gray.

Le concept des voies HOT place la gauche devant un dilemme, selon Normand Parisien, président de Transport 2000. «J'en ai discuté avec des gens ici, et ça suscite la controverse. Les groupes écologistes veulent faire la promotion du covoiturage et des transports en commun, mais sont souvent aussi opposés aux inégalités sociales. La gauche a de la misère avec l'efficacité économique. Personnellement, je suis entre la gauche modérée et la droite compatissante. Pour moi, ce qui est intéressant, c'est l'efficacité. On devrait mettre un péage sur toutes les voies rapides pour favoriser les autres modes de transport, dont le covoiturage et les transports en commun.»

Deux exemples de voies HOT

SR91 Express, comté d'Orange, Californie

Quatre des dix voies de cette autoroute sont des voies HOT («high occupancy and toll » ou covoiturage avec payage). Les voitures ayant au moins deux passagers en plus du conducteur ne paient pas, sauf pendant l'heure de pointe du soir, où elles bénéficient d'un rabais de 50%.

SR 167, banlieue de Washington

Deux des six voies sont des voies HOT sur une distance de 20 km, entre 5h et 19h. Les voitures ayant au moins un passager en plus du conducteur ne paient pas. À terme, ces voies HOT s'étendront sur 80 km.