Le placement de produit automobile fait-il vraiment sonner les caisses? Entretien avec deux experts.

Des films d'action suintant la testostérone aux comédies romantiques en passant par les sciences-fictions délirantes, la voiture crève l'écran et s'est hissée parmi les stars les plus en vogue du gotha hollywoodien.

«Le cinéma a une grande histoire d'amour avec la voiture, que ce soit la Jaguar en Europe ou la Dodge Charger aux États-Unis», reconnaît Jean Guérin, enseignant en histoire du film et de la télévision à l'Institut Trebas de Montréal. «Les années 70 sont probablement l'âge d'or de l'automobile sur grand écran. C'est la décennie où les cinéastes multiplient les folles poursuites et empilent les voitures de police comme des crêpes. La tendance ralentit un peu après The Blue Brothers, orgie ultime de la casse automobile.»

La tendance du placement de produit, par contre, n'a pas ralenti. Au contraire. «Il est devenu pratiquement impossible de regarder un film ou une télésérie sans placement de produit», admet André Richelieu, professeur titulaire en gestion de la marque à l'Université Laval. «Chaque opportunité, chaque segment est exploité par les entreprises. Si l'on cachait les étiquettes et les logos dans les années 60 et même 70, le placement de produit est aujourd'hui la norme. On n'oubliera pas de sitôt le film Cast Away qui était pratiquement une pub promotionnelle de deux heures pour FedEx!»

Les soaps Dynasty et Dallas comptent parmi les premiers à faire du placement de voiture de luxe à grande échelle. «Les producteurs avaient alors des budgets monstres, explique M. Richelieu. Chaque plan se transformait en un défilé de Mercedes, de Rolls Royce et de longues limousines Lincoln, des apparitions automobiles qui cadraient avec la série.»

Les choses ont bien changé depuis ces incursions naturelles. «Les réalisateurs perdent de leur pouvoir au détriment des marques, déplore M. Guérin. De nos jours, tout doit être négocié. Mercedes a même poursuivi l'équipe de Slumdog Millionnaire pour qu'elle efface numériquement ses logos sur les voitures des malfrats.»

André Richelieu abonde dans le même sens. «On utilise parfois les films et les séries sans égard au scénario ou aux objectifs de la marque. Du coup, le téléspectateur ne regarde plus un divertissement, mais un long métrage publicitaire dont les réclames se suivent à la queue leu leu. Le placement de produit automobile frise la banalisation, ce qui peut rendre les consommateurs indifférents.»

La cohérence avec le scénario reste essentielle pour assurer un impact positif auprès du public. «Les constructeurs automobiles paient le gros prix pour que leur marque soit exposée, surtout quand il est question de films américains vus par des millions de téléspectateurs partout à travers le monde, indique M. Richelieu. Il peut être dangereux de sacraliser des voitures qui ne pourront livrer la marchandise dans la vie de tous les jours.»

Le placement de produit automobile est un couteau à double tranchant. Il peut nimber la voiture d'une aura prestigieuse, comme il peut se révéler un coup d'épée dans l'eau.

Au final, c'est le consommateur qui impose son verdict. «On peut planifier soigneusement notre apparition, mais si le grand public trouve que le mariage est risible, la stratégie peut se révéler inefficace, voire carrément nuisible pour la marque, prévient André Richelieu. Mieux vaut faire preuve de vigilance, choisir les opportunités avec discernement et éviter les apparitions grossières qui irritent les consommateurs.»