À Frelighsburg, au Québec, un acheteur d'une Chevrolet Cruze neuve se fera dire que sa future voiture consomme en moyenne 7,8 L/100 km en ville. À moins de 10 km de là, à East Franklin au Vermont, on lui dira que cette même voiture consomme 9 L/100 km. Comment est-ce possible?

La consommation de carburant des véhicules neufs annoncée par le gouvernement canadien est nettement plus faible que celle publiée par le gouvernement américain. Et cette différence est en défaveur des consommateurs canadiens.

Les cotes de consommation des 10 voitures les plus vendues au Canada (voir tableau) sont toutes inférieures à celles déclarées pour ces modèles aux États-Unis. Aux États-Unis, la consommation déclarée sur autoroute de ces 10 voitures est en fait de 15% (Volkswagen Jetta) à 23,2% (Toyota Corolla) supérieure à ce qui est annoncé au Canada. Et leur consommation en ville est de 7,7% (Volkswagen Jetta) à 19,1% (Hyundai Elantra) supérieure.

«La différence est étonnante puisque, dans plusieurs cas, les véhicules proviennent de la même usine et ont les mêmes caractéristiques», commente Yan Cimon, professeur au Département de management de l'Université Laval et spécialiste de l'industrie automobile.

Impossible d'obtenir les mêmes chiffres

Chroniqueur à La Presse Auto, Éric LeFrançois teste, bon an, mal an, une centaine de véhicules neufs destinés au marché canadien. Autant de côtes de consommation vérifiées. Son observation est sans appel.

«Je n'arrive jamais aux mêmes chiffres que Ressources naturelles Canada. La consommation est toujours de 15 à 20% plus élevée que ce qui est publié par Ressources naturelles Canada», dit-il.

Selon lui, «100% des gens qui calculent leur consommation se sentent lésés chaque fois» qu'ils la comparent avec ce qui est déclaré officiellement.

«Personne ne peut s'attendre à obtenir les chiffres publiés, surtout pas en hiver», ajoute-t-il.

Pourquoi?

Comment expliquer de telles différences avec les États-Unis? Et pourquoi sont-elles au désavantage des Canadiens?

Les deux gouvernements exigent des constructeurs qu'ils recourent à une «méthode» pour calculer la consommation d'essence. Cette méthode diffère d'un pays à l'autre. Pour obtenir des consommations moyennes plus conformes à la réalité, le gouvernement américain a amélioré il y a quatre ans sa procédure de calcul. En prenant en compte notamment la conduite en hiver, l'utilisation de la climatisation, la haute vitesse et les accélérations rapides. Ce que n'a toujours pas fait le gouvernement canadien, qui n'explique pas pourquoi.

Les gouvernements recueillent ensuite les données de consommation auprès des constructeurs. Au Canada, cette collecte est effectuée par Environnement Canada, qui fait parvenir les données à Ressources naturelles Canada. Elles sont publiées chaque début d'année dans le Guide de consommation de carburant et sur l'étiquette ÉnerGuide apposée sur les nouveaux véhicules. Lorsqu'il avait ce mandat de collecte jusqu'en mars 2010, Transports Canada mettait à l'essai certains modèles neufs afin de vérifier les prétentions des constructeurs, ce que ne fait aujourd'hui ni le ministère des Ressources naturelles ni celui de l'Environnement. Les données officiellement publiées sous le sceau de Ressources naturelles Canada reposent donc uniquement sur les déclarations des constructeurs. Ce n'est pas le cas aux États-Unis, où il y a une certaine vérification.

«L'Agence américaine pour la protection de l'environnement (EPA) mène chaque année des tests de confirmation pour 10% à 15% des modèles de véhicules afin de s'assurer que les données soumises par les fabricants sont exactes. Il est inutile de reproduire ces tests ici, au Canada, étant donné que les modèles de véhicules offerts au Canada sont virtuellement identiques à ceux offerts aux États-Unis», justifie Daniela DiBartolo, directrice de la division de l'utilisation de l'énergie liée au transport à Ressources naturelles Canada.

 

Une information biaisée

L'Association pour la protection des automobilistes (APA) se désole de voir qu'il n'y ait plus d'expertise et qu'il n'y ait plus de tests au Ministère. L'information fournie aux consommateurs est donc biaisée, dit-elle.

Consciente de la difficulté de vérifier chaque nouveau modèle lancé par les constructeurs, celle-ci réclame avant tout de changer la méthode de calcul de la consommation. «Le correctif à apporter n'est pas de surveiller plus les constructeurs, mais de dicter une norme de calcul qui colle plus à la réalité», dit son président, George Iny.

«Le gouvernement du Canada compte actualiser le contenu des étiquettes sur la consommation de carburant des véhicules pour l'harmoniser davantage avec l'information fournie par les étiquettes aux États-Unis, répond Daniela DiBartolo sans être en mesure de préciser quand. Il s'agira entre autres d'adopter de nouveaux paramètres pour la consommation en s'inspirant de la méthodologie employée aux États-Unis afin de mieux simuler la conduite agressive, l'utilisation du climatiseur et l'utilisation par temps froid. Ce travail est en cours.»

D'ici là, les automobilistes canadiens ont tout intérêt à se fier aux déclarations publiées au sud de la frontière par le département américain de l'Énergie.

Photo fournie par Honda

Une Honda Civic de base (1,8 L, 4 cylindres, manuelle) consommerait 8,4 L/6,5 L (ville/autoroute) aux États-Unis, alors que cette même voiture consommerait 7,2 L/5,4 L au Canada.