À qui appartenait la Ferrari 250 GTO 1964 à 61 millions de dollars canadiens  ? Le tribunal d'une petite ville de France entend jeudi et vendredi les trois enfants du défunt Pierre Bardinon, qui se disputent la propriété de ce joyau de la collection de voitures de leur père, un riche industriel.

Le procès, prévu en septembre à Guéret (une ville de 14 000 habitants), avait été reporté pour « raison médicale », le prévenu poursuivi pour abus de confiance ayant transmis à la justice une demande de renvoi accompagnée d'un certificat.

L'affaire remonte à avril 2014 : Patrick Bardinon, l'aîné des fils de Pierre Bardinon mort en août 2012, vend à un riche Taiwanais ayant fait fortune aux États-Unis une Ferrari 250 GTO, produite à 36 exemplaires au monde et à 3 exemplaires pour l'année 1964.  

La voiture la plus chère au monde à l'époque

La vente fait du bruit car l'engin, baptisé « La Joconde des Ferrari », est cédé pour 46 millions de dollars US (61,4 millions de dollars canadiens au taux de change de décembre 2014), ce qui en fait alors le véhicule le plus cher au monde.

Elle est depuis au coeur d'une bataille juridique entre les héritiers. Jean-François, 59 ans, et sa soeur Anne, 64 ans, affirment que la voiture faisait partie de la succession et que Patrick, qu'ils accusent d'abus de confiance, ne pouvait donc pas la vendre. 

Patrick, 61 ans, assure que la Ferrari lui a été donnée par leur père dès les années 70 et lui appartient donc en propre. 

« La GTO était le joyau de la collection. Elle devait y rester. Mon client l'a très mal vécu », assure Me Philippe Lefaure, défenseur du fils cadet.  

Donnée après un grave accident de F3, dit le fils

C'est Jean-François qui a porté plainte après avoir constaté la disparition du véhicule du musée privé de Saint-Avit-de-Tarbes (entre Limoges et Clermont-Ferrand), rassemblant les voitures collectionnés par leur père, le créateur en 1963 du circuit du Mas-du-Clos, près d'Aubusson. 

Pour Me Vincent Jamoteau, l'un des deux avocats de Patrick Bardinon, l'histoire est en fait celle d'une complicité père-fils.

Le palais de Justice de Guéret, petite ville au Nord du Parc naturel régional de Millevaches en Limousin.

« Mon client partageait une véritable passion pour les voitures avec son père et Jean-François a toujours été jaloux de leur relation. Patrick Bardinon vivait avec ses parents contrairement à son frère et à sa soeur Anne. Il les a accompagnés dans les derniers moments de leur vie », raconte-t-il. 

« Cette voiture lui a été donnée en 1978 après un grave accident lors d'une course de Formule 3 sur le circuit de Nürburgring en Allemagne. Sa mort avait été annoncée à la radio et ses parents ont appris cette nouvelle alors qu'ils se rendaient sur le circuit. Mais Patrick s'en est tiré. Son père s'en est-il voulu, se disant que l'accident ne serait jamais arrivé s'il n'avait pas partagé cette passion avec son fils ? C'est possible », ajoute-t-il. 

Payée 700 dollars US

« Cette Ferrari 250 GTO, achetée 700 dollars et réparée pour 1500 dollars, était revenue à la vie de la même manière que Patrick. Ce cadeau était, on le pense, très symbolique à ses yeux », dit-il. 

Pierre Bardinon avait fait fortune après avoir repris la société familiale Chapal, spécialisée dans le cuir. Amoureux des voitures, il avait jeté son dévolu sur les Bugatti et les Jaguar avant de devenir un inconditionnel des Ferrari. « Au fil des années, elles ont pris une valeur considérable. En France, il a été le seul à avoir autant de nez », dit Me Lefaure. 

La fortune amassée par Pierre Bardinon serait estimée entre 250 et 400 millions d'euros (380 et 600 millions de dollars canadiens) et le musée privé, dont l'accès est restreint à quelques privilégiés, rassemble encore aujourd'hui l'une des plus belles collections de Ferrari au monde même si le nombre de véhicules exposés est « confidentiel ». 

A tel point qu'Enzo Ferrari, interrogé il y a quelques années sur l'absence d'une collection de modèles de sports au musée italien de Maranello dédié à la marque, avait déclaré : « Pas besoin, Bardinon l'a fait pour moi ». 

Aujourd'hui, ce musée est sous séquestre à la demande de l'avocat de Jean-François Bardinon. Et une autre procédure a été engagée devant la justice civile concernant le circuit du Mas du Clos. Pierre Bardinon l'avait légué par testament à son fils Patrick, déclenchant là encore une bagarre successorale.

Cette Spyder Dino 206 SP 1966 fut restaurée à partir d'un châssis ayant appartenu à Pierre Bardinon. Photo Alain Raymond, collaborateur spécial, La Presse.