Vous montez dans votre voiture, après un souper au restaurant. Derrière vous, une autre voiture se place en retrait, pour attendre que vous sortiez et prendre votre place de stationnement. L'autre automobiliste klaxonne. Insulté, vous décidez de prendre votre temps pour enclencher la première vitesse et dégager la place.

Ce cas de figure est typique, selon un sociologue de l'Université d'État de Pennsylvanie. Même sans klaxon, on prend beaucoup plus de temps à quitter une place de stationnement quand une autre voiture attend pour la prendre. Seul bémol: si l'automobiliste garé est un homme et que la voiture qui veut occuper la place est luxueuse, l'échange sera plus rapide.

 

«Tout est une question de défense du territoire», explique Barry Ruback, l'auteur de l'étude publiée dans la revue Journal of Applied Social Psychology.

«Le même phénomène se produit quand on défend sa place dans un bar, devant un étalage dans un magasin, à l'abreuvoir et, quand on s'en servait encore, au téléphone public. Quand quelqu'un veut prendre une place qui nous appartient, même temporairement, nous allons prolonger notre occupation même si cela n'est pas dans notre intérêt rationnel. Dans le cas du stationnement, l'intérêt est généralement de s'en aller au plus vite, parce qu'il n'y a aucun avantage à rester assis dans une voiture qui ne bouge pas.»

Le choix

Un autre phénomène est aussi en jeu: la liberté de choisir. «Quand on occupe temporairement un espace, on peut choisir la durée de temps pendant laquelle on en sera propriétaire», dit M. Ruback, qui consacre sa carrière à l'instinct de territorialité. «Si une autre personne indique qu'elle veut prendre cette place après nous, on se sent pressé dans notre choix. Prendre notre temps pour déplacer notre voiture est une manière de rétablir notre liberté de choisir - de partir rapidement ou lentement.»

La pièce de Michel Tremblay À toi, pour toujours, ta Marie-Lou montre bien l'importance pour l'humain de cette liberté de choisir, quand un personnage commande une deuxième «table» de bière pour avoir la satisfaction de choisir entre boire la bière et renverser la table.

Pour tirer au clair la question de la territorialité des places de stationnement, M. Ruback a conçu trois expériences. Dans la première, des étudiants épiaient des gens qui entraient dans leur voiture garée dans un centre commercial, et chronométraient le temps qu'ils prenaient à sortir de leur place après s'être assis sur le siège du conducteur. Dans certains cas, des voitures attendaient pour prendre la place. La deuxième expérience visait à vérifier l'effet d'un coup de klaxon et du type de voiture attendant pour prendre la place. Les étudiants étaient alors au volant de voitures plus ou moins luxueuses (une vieille Nissan Maxima ou une Lexus de l'année) et se plaçaient près d'une voiture sur le point de sortir de sa place de stationnement, dans le même centre commercial. Ils donnaient parfois un coup de klaxon. La troisième expérience ne comportait que des questionnaires demandant aux répondants comment ils réagiraient dans ce type de situation. Chaque expérience a fait appel à environ 200 cobayes.

L'effet klaxon

Les résultats sont clairs. Quant une voiture attendait de prendre la place, le temps qu'un automobiliste mettait à sortir augmentait de 25%. La différence frisait 50% quand il y avait un coup de klaxon. Pour ce qui est du statut des voitures, seuls les hommes y étaient sensibles: ils mettaient 25% plus de temps à sortir si la voiture qui attendait était un vieux tacot plutôt qu'un véhicule luxueux.

«Il y avait une légère différence entre les hommes et les femmes, mais nous ne savons pas si elle est due au fait qu'elles avaient souvent des enfants avec elles, précise M. Ruback. C'est un élément de distraction qui augmente le temps pour sortir sa voiture d'une place de stationnement. L'autre différence entre hommes et femmes, la sensibilité à la catégorie de l'autre voiture, s'explique probablement par un respect inconscient des hommes envers le statut social élevé. Mais il est aussi possible que les hommes s'intéressent davantage aux voitures de luxe et que ça les distrait.»

Dans les questionnaires, les cobayes ont presque toujours sous-estimé le temps qu'ils mettraient à sortir leur voiture et ils ont répondu que si un autre automobiliste attendait pour prendre leur place, ils se hâteraient.

 

«Ça montre bien que l'instinct de territorialité est inconscient et non rationnel, dit M. Ruback. La seule exception était le cas du klaxon. Dans ce cas, les répondants ont admis que ça les inciterait à prendre leur temps pour sortir de la place de stationnement. C'est assez unique dans les études sur la territorialité: en général, cet instinct n'est jamais reconnu par les gens dans les questionnaires. Et c'est probablement dû au fait qu'il est admis, dans la culture américaine, que la voiture est un symbole en plus d'être un simple moyen de transport. Les automobilistes sont conscients que les décisions prises au volant ne sont pas nécessairement rationnelles.»