Les essuie-glaces intermittents sont tellement répandus qu'il est difficile d'imaginer la vie sans eux. Le couinement des essuie-glaces ordinaires, lorsqu'il tombe du crachin, est une expérience éprouvante.

Cette technologie en apparence banale a une histoire tragique. L'inventeur des essuie-glaces intermittents, Robert Kearns, s'est fait voler son idée par les constructeurs automobiles, et s'est lancé dans une longue croisade judiciaire pour obtenir justice. Mais quand il a finalement trouvé des juges sympathiques, il est devenu d'une intransigeance telle que sa femme l'a quitté et que ses enfants se sont brouillés avec lui.

 

Voilà ce que raconte Flash of Genius, apparu sur les écrans au début d'octobre. Réalisé par Marc Abraham, un cinéaste dont c'est la première oeuvre et qui auparavant était producteur de films d'horreur et d'espionnage, ce film se base sur un chapitre d'un livre d'un journaliste du New Yorker, John Seabrook.

«J'ai commencé à travailler sur Robert Kearns au début des années 90», a expliqué M. Seabrook, joint au Vermont où il célébrait la fête juive de Rosh Hashana. «À l'époque, je m'intéressais aux conditions nécessaires aux éclairs de génie des inventeurs. Le feuilleton des essuie-glaces intermittents m'est rapidement apparu plus intéressant encore que la réflexion sur les éclairs de génie.» Un premier article sur M. Kearns est paru dans l'hebdomadaire new-yorkais en 1993, puis a été repris et mis à jour dans le livre Flash of Genius, publié par le journaliste en septembre.

Un génie déraisonnable

Le héros de Flash of Genius est insupportable. Non content d'avoir inventé les essuie-glaces intermittents, il veut avoir le monopole de leur fabrication. Les grands de l'automobile l'envoient promener injustement, et se font taper sur les doigts par la justice. Mais Robert Kearns se révèle déraisonnable au point où sa femme le quitte.

En 1993, un juge exaspéré par son refus d'accepter des compensations de 30 millions US met un terme au procès à cause des retards répétés de M. Kearns. Dépité, ce dernier refuse d'encaisser le chèque pendant plusieurs années, s'aliénant sa femme et ses cinq enfants qui l'ont épaulé si longtemps. Il meurt en 2005 de la maladie d'Alzheimer.

L'histoire de Robert Kearns permet de mieux comprendre la source des problèmes de l'industrie automobile. «Les ingénieurs des trois grands constructeurs souffraient du syndrome «si nous ne l'avons pas inventé, c'est que c'est inutile», dit M. Seabrook. Cette myopie les a menés dans l'impasse actuelle.»

Le secret de l'intermittence

Le secret de l'intermittence des essuie-glaces est l'utilisation d'un appareil, chargé graduellement par un courant électrique, qui se décharge ensuite soudainement en faisant fonctionner les essuie-glaces. Les centaines d'ingénieurs de Detroit qui travaillaient auparavant sur le problème avaient notamment pensé à des solides se réchauffant lentement puis transmettant soudainement leur énergie aux essuie-glaces; cette solution fonctionnait mal par temps froid ou par canicule, parce que l'intermittence était alors trop longue ou trop courte.

Le film de Marc Abraham est étonnamment fidèle au récit de M. Seabrook. On voit un épisode où il montre à sa famille comment, sous une pluie légère, un automobiliste doit choisir entre le couinement agaçant des essuie-glaces et un pare-brise couvert d'eau - la démonstration débouche presque sur un accident.

La première séquence le montre dans un autocar en t-shirt et en veston: il se rend à Washington pour expliquer son invention au vice-président des États-Unis, et les policiers que sa famille a envoyés à sa recherche ont fort à faire pour le convaincre de rentrer à la maison. On ne peut plus allumer ses essuie-glaces sans penser avec un frisson au destin pathétique de Robert Kearns.