À lire les journaux, à regarder la télé ou à écouter la radio par les temps qui courent, on serait enclin à croire que General Motors est une institution obsolète qui construit à coup de marteau-pilon des voitures dont personne ne veut et dont la qualité s'apparente à celle des voitures de l'ancien bloc communiste, Lada en tête.

Pourtant, la gamme des produits GM n'a jamais été aussi relevée depuis des décennies si l'on se fie aux distinctions qu'ils se sont octroyés ces dernières années. Double vainqueur du prix de la voiture et du camion de l'année en 2007 avec la Saturn Aura et le Chevrolet Silverado, GM a partiellement répété l'exploit en 2008 en s'emparant du titre de la voiture de l'année avec la Chevrolet Malibu, suivie de près par la très réussie Cadillac CTS.

Dans un autre domaine, la Chevrolet Corvette ZR1, autrefois la risée des puristes, a balayé tous les records pour une voiture sport de série en parcourant les 22,8 km de la boucle nord du redoutable circuit du Nurburgring en Allemagne plus vite que des engins portés aux nues, qu'ils s'appellent Ferrari ou Lamborghini. Enfin, les produits de General Motors ne cessent de faire tinter la caisse dans des pays émergents comme la Chine où la «pacotille» de Detroit n'est précédée que par les voitures Volkswagen dans le palmarès des ventes.

Jadis un pays

La situation, avouons-le, est assez incompréhensible pour une société que l'on s'amusait à comparer, il y a une cinquantaine d'années, aux plus grandes nations du monde. En effet, si GM avait été un pays durant ces années fastes, son ampleur et sa richesse eurent été suffisantes pour en faire le 7e plus important pays de la mappemonde, lui ouvrant la porte du G8. Jusqu'en 1962, un véhicule sur deux vendu aux États-Unis provenait d'une usine General Motors. Mais cela c'était hier, quand on disait aussi que «tant va GM, tant va l'Amérique» ou encore, «on a clear day, you can see General Motors» (dixit John Z. Delorean) pour témoigner de sa domination économique et de ses dimensions colossales. D'où la question «comment GM a-t-elle pu en arriver là?».

Bien sûr, il y a l'arrogance répétée de ses dirigeants, l'incapacité de reconnaître ses erreurs, cette certitude d'avoir pris les bonnes décisions et, surtout, ce flagrant manque de vision d'une administration dont la mentalité est que si c'est bon pour la riche banlieue de Grosse Pointe (où toute la haute gomme de GM habite ou habitait), ce doit être bon pour le reste de l'Amérique. Même la crise de l'énergie des années 70 n'a pas suffi à réveiller ces chefs d'industrie surpayés. Ils se sont laissé bouffer tout rond par les syndicats en n'appliquant que des solutions à court terme, tout à l'opposé de la philosophie des constructeurs japonais.

Au tableau du déshonneur

Pour riposter à l'invasion nipponne, ils n'ont rien trouvé de mieux que ces affreuses guimbardes nommées Vega, Chevette, Astre, Firenza et autres synonymes d'atrocités que GM souhaiterait voir disparaître de ses 100 ans d'histoire. En réalité, il faut plus que nos dix doigts pour compter les échecs cuisants de ce qui fut le premier constructeur automobile mondial. Il suffit de penser aux Chevrolet Citation ou Pontiac 6000, à l'Oldsmobile Omega, aux Cadillac Cimarron et Allante, à ce trio de bavures appelé Chevrolet Spectrum, Beretta et Corsica, à l'Oldsmobile Achieva, la Pontiac Fiero et, plus récemment, la Chevrolet Caprice de 1992, la Chevrolet Cavalier, la Pontiac Aztek, l'Edsel des temps modernes et à cette calamité de camion sport, le SSR, que l'on a dû donner ou vendre à fort rabais tellement les preneurs se faisaient rares.

Ce qu'il faut retenir de cette triste époque, ce sont les propos récents de Robert Lutz, le second en poste chez GM qui affirmait récemment à la télévision américaine «nous avons pollué le marché avec des véhicules qui étaient de la vraie camelote et nous devons aujourd'hui en assumer les conséquences. Tous ces baby-boomers que nous avons déçus disent aujourd'hui à leurs enfants de ne jamais acheter de voitures américaines à cause des nombreux problèmes qu'elles leur ont causés».

Un géant gravement malade

Ce que M. Lutz ne dit pas et c'est là tout le problème, c'est que peu importe la qualité des voitures que GM propose aujourd'hui, personne n'en voudra parce que les acheteurs ont perdu confiance en Detroit et que les ex trois grands ont désormais une image ternie qu'il ne sera ni facile ni rapide à restaurer. C'est ce même M. Lutz qui me disait lors d'un symposium il y a quelques années que les voitures actuelles sont pratiquement toutes identiques aujourd'hui en matière de qualité ou de durabilité et que la seule chose qui les distingue et qui fait accourir la clientèle, c'est l'image de marque qu'elles projettent. Le plus bel exemple d'une telle situation est certes la marque BMW qui vend des voitures sans doute très valables, mais pas vraiment supérieures à beaucoup d'autres. Ce qui fait qu'une BMW se vend mieux qu'une autre, c'est sa réputation, son image de marque et son statut.

C'est cela que GM se doit de rattraper et ce ne sera pas une mince tâche. Le temps qu'on mettra à remonter à la surface, il sera peut-être trop tard pour que la compagnie retrouve le chemin du succès et de la rentabilité. «Never underestimate a sleeping giant» («ne jamais sous-estimer un géant qui dort») disait-on fréquemment de GM durant ses mauvaises années. Or, en ce début 2009, le géant est très gravement malade.