«Ce qui est bon pour General Motors est bon pour l'Amérique.» C'était sans doute vrai hier. Mais l'est-ce encore aujourd'hui? S'il était toujours de ce monde, Charles Erwin Wilson - auteur de cette célèbre citation - aurait peut-être la sagesse de reformuler cette phrase sous une forme interrogative: ce qui est bon pour General Motors est-il aussi bon pour l'Amérique? En clair, doit-on laisser mourir les constructeurs américains? Oui, mais à petit feu.

À la demande du congrès, le Big Three a déposé la semaine dernière un plan de sauvetage d'une grande précision: rationalisation du portefeuille de marques, réduction de la capacité de production, ventes de certains actifs, etc. Un bon plan, lucide, clair et précis, mais qui apparaît 25 ans trop tard... Minimum.

 

L'industrie automobile américaine a la tête dure. Elle a mis du temps à comprendre. Et encore, elle n'a pas saisi toutes les leçons. Même après 25 ans.

Vingt-cinq ans à commettre des erreurs tantôt stratégiques, tantôt financières. Parfois même les deux, cela laisse des traces. Pour preuve, que reste-t-il aujourd'hui des soifs de conquête de Ford (Aston-Martin, Jaguar, Land Rover, Mazda et Volvo), de GM (Isuzu, Saab, Lotus, Suzuki, Subaru, Daewoo) ou de Chrysler (Lamborghini)? Des mariages ratés entre Daimler et Chrysler, entre GM et Fiat?

Vingt-cinq ans à combattre la mobilité durable et à se foutre de la dépendance de ses acheteurs à l'égard du pétrole alors que la concurrence planchait déjà sur des solutions d'avenir (hybride, tout-électrique, piles à combustibles)?

Vingt-cinq ans pour améliorer sa productivité, à contenir ses coûts et à produire des véhicules de qualité comparable à ceux de ses rivaux d'Asie et d'Europe?

Vingt-cinq ans à faire la sourde oreille aux demandes du marché qui réclame des véhicules plus petits, moins énergivores et à fort contenu technologique. Au lieu de cela, les constructeurs américains se sont entêtés, en dépit de plusieurs chocs pétroliers et de l'irrésistible montée en puissance de l'énergie verte, à produire des 4x4, des SUV, des pick-up pour obtenir de meilleures marges.

Pour toutes ces raisons (et il y en a d'autres), pourquoi le contribuable américain (et bientôt canadien?) devrait-il, par l'intermédiaire de son gouvernement, ravitailler une automobile dont le réservoir fuit de toutes parts? Pour prolonger sa course. Avec des pertes mensuelles qui se chiffrent dans les milliards, à quoi bon repousser de quelques kilomètres l'inévitable abandon?

Une deuxième chance?

Il y a une tonne de bonnes raisons de laisser mourir les trois grands, mais une seule de les sauver: l'emploi. Oubliez un moment ces travailleurs qui gagnent 80 000$ par année à assembler des Ford, des Buick ou des Jeep et songez plutôt aux autres, ceux et celles qui se trouvent actuellement à l'emploi des fournisseurs ou encore des concessionnaires de ces entreprises. Ce sont 3 millions d'emplois qui seraient perdus et ce, juste aux États-Unis. Combien au Canada? Au Québec?

Dans le contexte économique actuel, la nouvelle administration américaine ne peut se permettre de voir chuter le Big Three. Pas maintenant, même si le plan jusqu'ici proposé par les «Miserables Three» est loin de faire l'unanimité aux yeux de nombreux analystes et membres du Congrès. Ceux-ci soutiennent que l'injection d'argent neuf ne changera strictement rien à la compétitivité de GM, Ford et Chrysler.

En fait, cela ne servira qu'à prolonger leur agonie. Un passage sous le chapitre 11 (loi américaine sur les faillites) apparaît pour plusieurs un passage obligé pour les trois grands. Mais Rick Wagoner, pour un, ne veut pas en entendre parler. Sur toutes les tribunes, il ne cesse de répéter que de se mettre sous la protection de la loi sur les faillites ferait basculer son entreprise. Qui voudrait acheter un produit d'un constructeur à l'avenir incertain? Bien d'accord, mais n'est-ce pas la perception que nous avons déjà?