Depuis toujours, les autoroutes allemandes fascinent les automobilistes. Le fait qu'il n'y ait pas limite de vitesse sur l'autobahn fait rêver certains, en choque d'autres. Alors qu'on cherche au Québec à faire ralentir les automobilistes et qu'on s'inquiète des émissions de gaz à effet de serre des autos, le débat sur l'imposition de limites de vitesse sur l'autobahn est tout à fait d'actualité.

«Aucune donnée empirique ne permet de conclure sans aucun doute que des limites de vitesse sur l'autoroute diminuent le nombre d'accidents, soutient sans sourciller Steffen Küpper, un expert en sécurité routière du ministère de l'Intérieur de la Bavière. On a beaucoup parlé de la France, où le bilan routier s'est amélioré après l'installation de radars photo sur les autoroutes. Mais c'était la première mesure de contrôle des comportements des automobilistes après des décennies de laisser-aller. Il était évident qu'il y aurait un effet. Nous avons un meilleur bilan sur nos autoroutes que la plupart des pays industrialisés, parce que nous surveillons les endroits dangereux de près.»

Le taux de décès sur la route en Allemagne est de trois par milliard de kilomètres parcourus, presque deux fois moins qu'aux États-Unis et au Québec, où il tourne autour de cinq. En France, il est de 2,6; au Royaume-Uni, il est de 2,9.

L'Allemagne n'a jamais eu de limite de vitesse sur ses autoroutes, à part une brève période de quatre mois en 1973, au plus fort de la crise du pétrole. Les «tempolimit», comme on les appelle ici, n'ont jamais pris racine. Le terme «tempo» rappelle la vitesse avec laquelle les musiciens interprètent une oeuvre, et fait référence au fait que chaque automobiliste a son propre rythme en fonction de ses goûts et de ses capacités.

En fait, la moitié des autoroutes allemandes ont des limites de vitesse. Certaines de ces limites sont temporaires - par exemple à l'heure de pointe ou lorsqu'il y a de la neige ou du brouillard. D'autres sont appliquées dans des endroits où le risque d'accident est plus élevé, par exemple près d'une courbe traîtresse ou d'une intersection particulièrement achalandée. Selon le ministère de l'Intérieur de la Bavière, il y a des centaines d'endroits où des limites permanentes sont affichées, et ce nombre augmente sans cesse parce que chaque accident met en branle un petit comité d'examen. Des policiers et des ingénieurs évaluent les causes de l'accident et décident s'il y a lieu de recommander une limite ponctuelle de vitesse.

Un récent passage sur l'autoroute E552, à l'est de Munich, nous a permis de constater comment cela fonctionne. Nous filions dans la voie de gauche à 180 km/h, dépassant en flèche des voitures qui «traînent» à 120-140 km/h dans les deux voies de droite. Soudain, à l'approche de l'intersection avec l'autoroute qui encercle la ville, des panneaux au-dessus des voies ont affiché une limite de 120 km/h. Tout le monde est descendu à moins de 130 km/h. Après un kilomètre, le signe caractéristique de l'autobahn, un rond avec des bandes diagonales noires pour signifier qu'il n'y a plus de limite, a indiqué que l'on pouvait reprendre le rythme «normal».

Conduire sur l'autobahn est une activité stressante, qui nécessite un état d'alerte permanent. Il faut dire qu'en ville aussi, le stress n'est pas absent. Par exemple, les voies cyclables sont placées en bordure des trottoirs, et parfois, comme sur Landbergerstrasse, à l'est de la gare centrale de Munich, des voitures filant à 50 km/h passent à moins d'un mètre des cyclistes. Même si la voie cyclable est légèrement surélevée, un cycliste montréalais ne peut s'empêcher de s'inquiéter. On pense à la voie cyclable de la rue Saint-Urbain à Montréal, que plusieurs critiquent à cause de l'absence de séparation entre vélos et autos...

Une balade dans un village, puis à la campagne, est une autre expérience qui démontre bien le fonctionnement de la méthode allemande. À Sankt Augustin, à l'est de Munich, les voitures sont coincées dans des rues courbes. Impossible d'aller très vite. Parfois, à cause des voitures stationnées, une seule voiture passe dans la rue principale. Mais dès qu'on sort du village, les voitures accélèrent jusqu'à 90 km/h sur la route 490, qui s'étend entre les champs et les vallons, et où la limite est de 70 km/h.

Et l'environnement?

Reste la question de l'environnement. Steffen Küpper et Florian Hördegen, directeur de l'ADAC, la CAÀ allemande, la balaient d'un revers de main. «La plupart des émissions sont dues aux grandes concentrations de voitures, lors des embouteillages du matin et du soir, ou durant les vacances, soutient M. Hördegen. Une limite de vitesse ne changerait rien dans ces cas-là. Restreindre la mobilité de tous les automobilistes pour un résultat aussi maigre est-il raisonnable? Nous pensons que non.»

Des analyses citées par les médias avancent que la réduction de la limite de vitesse à 120 km/h réduirait de 0,5% les émissions de gaz à effet de serre de l'Allemagne. Selon Wolfgang Lohbeck, de Greenpeace Allemagne, une analyse de 2003 du ministère fédéral de l'Environnement montrait que les émissions des automobiles personnelles diminueraient de 2,7%. Les autoroutes représentent le tiers de ces émissions. Comme le transport au total, y compris les camions, les avions et les trains, constitue 13% des émissions allemandes, l'impact d'une limite de vitesse sera certainement moins élevé que les 0,5%, peut-être même plus proche de 0,1%.

Comme d'autres programmes, comme les subventions à l'efficacité énergétique, offrent des améliorations plus importantes, l'ADAC estime que l'argumentation écologique n'est pas convaincante. Les limites de vitesse n'ont jamais été très populaires en Allemagne pour lutter contre la crise de l'énergie: en 1973, au pire de l'embargo de l'OPEP, une limite de 100 km/h n'a tenu que quatre mois avant d'être victime des contestations politiques et juridiques. Des règlements municipaux interdisant les voitures trop polluantes dans certaines villes sont d'ailleurs contestés devant les tribunaux, et l'ADAC est confiante de gagner parce que le principe de la clause grand-père est généralement respecté en Allemagne.