À le croiser dans le paddock, on réalise vite combien cet homme-là est prêt à tout. Et on se dit qu'il vaut mieux ne pas compter parmi ses employés.

À le croiser dans le paddock, on réalise vite combien cet homme-là est prêt à tout. Et on se dit qu'il vaut mieux ne pas compter parmi ses employés.

Avec son air sévère, souligné par un bronzage travaillé aux lampes à ultraviolets, Mario Theissen n'a vraiment rien d'un gentil. Il n'en est pas un. Avec une rigueur toute germanique, le Bavarois fera tout pour aller jusqu'au bout de son rêve, le titre mondial.

Theissen est apparu en Formule 1 au Grand Prix d'Australie 2000, lorsque BMW a débuté son partenariat avec l'écurie Williams, en tant que motoriste de l'équipe anglaise. Un rôle que la marque de Munich a tenu jusqu'à fin 2005, mais qui ne pouvait suffire aux ambitions démesurées de Mario Theissen. À force de persuasion, ce dernier était parvenu à convaincre la direction de BMW de suivre l'exemple de Renault et d'acheter une écurie. D'où l'acquisition de l'équipe Sauber, annoncée en juillet 2005.

Mais avec l'écurie, son usine et sa soufflerie, venaient aussi ses pilotes. Si le contrat de Felipe Massa se terminait en fin de saison, celui de Jacques Villeneuve, signé pour deux ans, courait jusqu'à fin 2006.

Pour Theissen, c'était une terrible épine dans le pied. Villeneuve, avec son look décalé, ses tenues trois fois trop grandes et son sourire moqueur, n'entrait pas du tout dans le moule. Peter Sauber, confident de Theissen, avait de plus insisté sur l'erreur qu'il avait commise en embauchant l'ex-champion du monde.

Sans compter que le Bavarois, désormais enfin maître de son écurie, entendait bien décider seul de ses pilotes. Il avait l'intention d'y placer Nick Heidfeld, son protégé, rapide, discret, et surtout allemand, mais aussi de faire venir Sébastien Bourdais, le petit Français qui triomphe en Champ Car. Ce qui aurait eu l'avantage de faire passer Theissen pour un découvreur de talent.

Le problème, c'est que le contrat de Villeneuve, moulé dans le béton par les avocats de Craig Pollock, était impossible à annuler. La rage au coeur, Theissen se voyait imposer le Québécois. En ruminant sa vengeance.

Alors, depuis le début de la saison, Villeneuve vit l'enfer. En début de saison, le Québécois disait se moquer de ses relations avec Theissen. Après quelques semaines, les bons résultats aidant, Villeneuve espérait renouveler son contrat pour 2007, et affirmait que ses rapports avec le Bavarois s'étaient normalisés.

Ce qui n'était qu'un vain espoir. Car tout au long de la saison, Theissen n'a pas raté une occasion de critiquer Villeneuve. Il suffisait parfois d'évoquer le nom du Québécois pour le voir devenir encore plus cassant qu'à l'accoutumée.

Au Nurburgring, après une huitième place de Villeneuve, qui marquait des points pour la troisième fois en cinq Grands Prix, Theissen n'avait pas hésité à lâcher à La Presse que ce résultat ne l'incitait pas à garder le Québécois pour 2007, mais tout juste pour le Grand Prix suivant.

À Montréal, Theissen n'a pas hésité à qualifier la sortie de route de Villeneuve «d'erreur de débutant». Et hier, profitant du prétexte de l'accident de Hockenheim, il semble avoir atteint son but. En nommant Robert Kubica à la place du Québécois, il s'est enfin débarrassé de ce dernier.

On peut comprendre que Villeneuve ne se sente pas au mieux après son accident de dimanche. Juste après la course, il souffrait à l'évidence du choc. Il se massait la nuque et pensait qu'il aurait du mal à tourner la tête le lendemain.

Mais il n'est pas le premier pilote à taper les murs de pneus, et dans ce genre de cas, les physiothérapeutes professionnels embauchés par les écuries réussissent des miracles. Grâce à leurs mains expertes, les courbatures engendrées par ce genre de choc ne durent pas plus de quelques jours.

Theissen, pourtant, va saisir ce prétexte qu'il attendait depuis le début de la saison. Le communiqué qu'il a publié hier affirme qu'il «n'a pas décidé qui piloterait la voiture pour les derniers Grands Prix de la saison, ni pour l'année prochaine».

Joint par téléphone, Jorg Kottmeier, son assistant, a confirmé que la place de Villeneuve était remise en cause non seulement pour le Grand Prix de Hongrie, mais aussi pour le restant de la saison. «Nous avons voulu parer au plus pressé en nommant Robert Kubica pour remplacer Jacques, explique-t-il. Mais après, nous ne savons pas ce qui se passera. Cela dépendra de Jacques.» Theissen, lui, a refusé de répondre à La Presse avant demain, dans le paddock du circuit de Budapest.

Mais même sans lui parler, on devine aisément que le Bavarois doit jubiler. Il s'est enfin débarrassé de Villeneuve. Si d'aventure Kubica réussit un bon Grand Prix de Hongrie, le Québécois aura sans doute beaucoup de mal à retrouver son volant.

Bien sûr, il possède un contrat jusqu'à la fin de la saison. Mais en invoquant ses problèmes de santé, Theissen le court-circuite de la seule manière possible -puisque selon lui, c'est Villeneuve qui n'est pas en mesure de piloter. Cet homme-là est vraiment prêt à tout.