De passage à Montréal pour le tournage du 500épisode de la version québécoise de Tout le monde en parle, le format qu’il a créé, Thierry Ardisson revient sur les huit saisons durant lesquelles il a reçu le Tout-Paris à sa table, même s’il était « plus facile d’aller se faire sucer chez Michel Drucker, dit-il, qu’aller se faire emmerder par Ardisson ».

À 17 ans, Thierry Ardisson, sans aucune autre expérience préalable qu’un insatiable amour pour la musique, devient DJ dans une discothèque de Juan-les-Pins. « Et quand j’ai eu le job, on m’a dit : “Si la piste se vide, t’es viré”, se souvient-il. La télé, c’est pareil : on n’a pas envie que la piste se vide, que les gens zappent. »

En prenant la barre de Tout le monde en parle en 1998, qui ne trouvera sa forme connue, avec ses questionnaires warholiens et son fou du roi, qu’en 1999, l’homme en noir mettait ainsi en pratique ce qu’il avait appris aux platines. « C’est une émission qui avait une dimension à la fois fun et culturelle », confiait-il le 15 janvier dernier, attablé au restaurant du Ritz-Carlton, au matin de l’enregistrement du 500épisode québécois du concept qu’il a créé.

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Guy A. Lepage et Thierry Ardisson

J’arrivais entre deux bimbos, ou entre deux humoristes, à faire passer un peu de culture, à recevoir Tom Wolfe ou Bret Easton Ellis. Et la culture était rendue digeste, elle n’était pas punitive. Ç’a toujours été ma grande idée.

Thierry Ardisson

Ne pas chercher le feel-good

Rendre la culture digeste d’un côté, quitte à multiplier de l’autre les coups d’éclat et les plaisanteries de plus ou moins bon goût, comme de proposer à Matt Damon et à Brad Pitt des filles et de la drogue, de demander à l’ancien premier ministre Michel Rocard si « sucer, c’est tromper » ou de suggérer à Nelly Arcan de « perdre cet accent canadien », ce qu’il y avait, selon lui, de « moins sexy » chez elle.

Thierry Ardisson, qui confie avoir mis du Beau Dommage dans ses oreilles dès l’atterrissage de son avion à Montréal, ne s’amende d’ailleurs pas du tout : « Je trouve que l’accent québécois fait débander. »

« J’étais assez agressif, je ne cherchais pas le feel-good », reprend-il au sujet de son approche de l’art de l’interview.

Tout ça a commencé parce que j’avais un trac fou et je me disais : “Comme tu n’es pas bien, il n’y a pas de raison que la personne en face de toi soit bien.” Il y avait une forme de vengeance. Alors j’étais facétieux, insolent, peut-être un peu sadique.

Thierry Ardisson

Mais Thierry Ardisson parvenait aussi, avec ses questions retorses, à faire en sorte que ses invités dérogent à leurs proverbiales cassettes, le nerf de la guerre pour qui converse avec des célébrités.

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Christiane Charette et Thierry Ardisson en septembre 2006

Des stratégies indissociables du publicitaire qu’il a été jusqu’à ses 35 ans, avant d’élaborer des émissions novatrices et jubilatoires, inspirées du pop art, de la rock critic à la française et du nouveau journalisme, comme Bains de minuit et Lunettes noires pour nuits blanches, toutes les deux tournées dans des boîtes de nuit.

Regardez son entrevue avec Iggy Pop à Lunettes noires pour nuits blanches

« Les Patrick Sabatier, Patrick Sébastien, Michel Drucker, tous ces gens de ma génération, je les trouvais nuls à chier, lance-t-il. Moi, j’étais encore jeune quand il y a eu Mai 68, quand il y a eu le punk. Il y avait en moi cette dose de rébellion qu’eux n’avaient pas. »

Une question d’époque

Aucune hésitation : non, Tout le monde en parle ne pourrait plus exister en France, aujourd’hui. Pas avec le même ton qu’à l’époque, en tout cas, tranche Thierry Ardisson. Trop frileuses, les vedettes.

Les gens qui venaient chez moi savaient où ils étaient. Les attachés de presse leur disaient : “Ardisson, c’est ce qu’il y a de mieux, ça fait deux millions d’audimat, mais il va vous demander des trucs bizarres.”

Thierry Ardisson

« Aujourd’hui, toutes les stars ont peur du qu’en-dira-t-on des réseaux sociaux », pense celui qui se réjouissait du même coup que le pendant québécois du talk-show ait gagné avec les années en utilité sociale et ait duré aussi longtemps, ce qui ne fut pas son cas. En 2006, après seulement huit saisons de « Magnéto Serge » (leur « Manon, pèse sur le piton »), l’animateur quitte France 2, qui lui réclamait soudainement l’exclusivité, alors qu’il pilotait sans problème 93, faubourg Saint-Honoré sur Paris Première depuis 2003.

Ardisson adopterait sans doute une autre attitude envers les femmes, reconnaît-il. En 2021, Lara Fabian racontait à Guy A. Lepage l’horreur qu’elle a vécue en 2005 sur le plateau de son homologue français, qui s’était permis de commenter sa perte de poids et sa poitrine.

On a aussi souvent reproché à Ardisson un segment de son émission Paris dernière durant lequel il ironisait avec Frédéric Beigbeder et Gabriel Matzneff au sujet des perversions de l’écrivain depuis tombé en disgrâce. « Mais Matzneff, plaide-t-il, je pensais qu’il racontait des histoires. Avec la tête qu’il a, ce n’était pas possible pour moi qu’il sorte avec de jolies filles. »

Il y avait une attitude envers les femmes à la télé qui ne serait plus de mise aujourd’hui, mais voilà, cette habitude qu’on a de regarder le passé avec les yeux du présent, c’est ridicule.

Thierry Ardisson

Certes, mais un peu d’introspection ne fait jamais de mal ? « Je suis le premier à le faire ! clame-t-il. C’est pour cette raison que les extraits demeurent sur ma chaîne YouTube, parce que ça témoigne de ce qu’était l’époque. »

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Guy A. Lepage et Thierry Ardisson en 2006

La décence de se cacher

À 75 ans, Thierry Ardisson en a fini avec la caméra, même s’il ne boude pas son plaisir d’aller à l’occasion « montrer [sa] gueule sur un plateau et faire deux, trois conneries ».

Dans Hôtel du temps (2022), animé par une version de lui-même rajeunie de 20 ans grâce aux merveilles de la technologie, le présentateur s’entretenait avec des idoles disparues, comme Dalida, Coluche et Jean Gabin. Une émission n’ayant pas obtenu le succès espéré, mais dont il est parvenu à vendre le format à Warner Bros.

« Je ne veux pas imposer aux gens ma vieillesse, explique-t-il. Il y a une décence à ne pas se montrer. Je vois Michel Drucker qui s’accroche, c’est un peu pathétique. Je voulais être riche et célèbre et aujourd’hui, grâce à la télévision, je suis un peu riche et un peu célèbre. Je peux me permettre de ne pas imposer ma décrépitude. »

La 500e de Tout le monde en parle est diffusée ce dimanche, 20 h, sur ICI Télé