Pour mieux protéger la forêt, il faut la comprendre. La série La bataille pour la forêt montre l’énergie et les moyens déployés par des chercheurs québécois pour préserver les arbres de la forêt boréale comme ceux qui poussent dans nos rues. Un tour d’horizon accessible piloté par la journaliste Gabrielle Anctil. Entrevue.

La forêt est un sujet sensible au Québec : elle fait partie de notre identité, mais on la côtoie peu. La faire connaître était-il un objectif de la série ?

La série est une manière de se mettre à jour pour voir comment va la forêt et être à la fine pointe des recherches. On a fait le travail de rassembler l’information et de la rendre de manière accessible. Il y a en effet une tension : c’est un sujet sensible et important historiquement. L’industrie forestière a quand même contribué au développement du Québec, la province ne serait pas la même sans elle. Mon grand-père était bûcheron, j’ai des oncles qui travaillent dans cette industrie-là et en même temps, on dit : ne touche pas à mes arbres ! C’est super émotif.

La série suggère que l’industrie forestière québécoise est presque exemplaire. Avez-vous été convaincue ?

L’industrie forestière reproche aux urbains d’avoir des opinions, mais de ne jamais sortir de la ville, de ne pas connaître la réalité sur le terrain. Je trouvais que c’était de l’honnêteté journalistique que de me confronter à mes préjugés. Voir de quoi a l’air un territoire de coupe quelques années plus tard a bouleversé ma vision des choses. Plus loin dans le documentaire, on apporte des nuances. Il y a des améliorations à apporter, mais on n’est plus où on en était après L’erreur boréale ⁠1. Un truc qui m’a beaucoup intéressée, c’est qu’on parle maintenant d’aménagement écosystémique : on ne parle plus seulement des arbres, mais de la biodiversité.

Les sociétés minières et l’étalement urbain ont aussi des impacts sur les forêts. On ne peut pas critiquer un seul milieu…

Non, et il y a un truc que je trouvais intéressant : on a vu pendant la pandémie qu’on construisait énormément. Tout le monde achetait des 2 X 4. On a vu qu’on a besoin de bois. […] Je trouvais intéressant qu’on puisse montrer que, comparé au béton et à l’acier, le bois est un matériau beaucoup plus vert. Il y a certaines tensions et des intérêts contradictoires avec lesquels on doit composer, mais notre forêt est une ressource extraordinaire, et quand on s’intéresse aux impacts climatiques de nos constructions, le bois est un matériau à considérer. Aussi, aucun expert ne dit qu’on ne doit pas couper : on débat de la quantité et de la façon de faire, mais personne ne dit d’arrêter.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Gabrielle Anctil, animatrice de la série La bataille pour la forêt

Quels sont les principaux défis posés par les changements climatiques ?

Quand on a commencé la série, il n’y avait pas d’épisode sur les changements climatiques. On s’est rendu compte que c’était un enjeu important. […] Je voyais les forêts comme quelque chose d’immuable, qui s’arrange seul, mais c’est un peu comme un potager : il a besoin qu’on l’arrose, mais pas trop, il a besoin de soleil et de chaleur, mais pas trop. Ce sont des plantes qui ont besoin de certaines conditions, et ces conditions-là sont en train de changer de manière assez imprévisible. Quel sera l’impact sur nos forêts ? Je me suis notamment intéressée à un truc émotif : le sirop d’érable. Est-ce qu’on va perdre les conditions qui vont en permettre la production ? Est-ce qu’on va déménager nos érablières au Saguenay ? Ce n’est pas aussi simple que ça…

Pourquoi ne peut-on pas simplement déménager les arbres ?

On ne voit que les arbres, mais c’est tout un écosystème : les sols ne sont pas les mêmes en Outaouais et au Saguenay, les plantes qui poussent autour ne sont pas les mêmes, les températures ne sont pas les mêmes, l’ensoleillement n’est pas le même et les champignons dans le sol ne sont pas les mêmes. Il y a le visible, mais aussi l’invisible, c’est hyper complexe.

Il y a une intervenante qui dit qu’il est crucial d’intervenir au niveau municipal. Pourquoi ?

C’est là qu’on parle de préserver le petit boisé qui est à côté de chez nous, par exemple. On peut regarder ça à l’échelle provinciale, mais si on parle d’un cours d’eau dont on veut aménager les berges pour éviter les inondations, si on parle des îlots de chaleur, si on veut plus d’arbres dans nos rues, ce sont des décisions qui se prennent au niveau municipal. On ne réalise pas à quel point c’est important, mais ce genre de décision se prend tous les jours dans des conseils municipaux.

1. Le documentaire L’erreur boréale (1999), de Richard Desjardins et Robert Monderie, dénonçait à l’aide d’images chocs les coupes dans la forêt boréale.

Sur Savoir Média dès mardi, 20 h