La série The Crown, ennemie du trône ? Sa cinquième saison paraît seulement dans quelques jours, mais l’âpre controverse qui l’entoure, elle, gronde depuis des semaines. D’une attaque d’un ex-premier ministre au coup de gueule de Judi Dench, les critiques envers l’offrande de Netflix fusent de toutes parts.

Et pourtant, personne n’a encore regardé cette suite de 10 épisodes. Aucun d’eux n’est d’ailleurs présenté aux médias avant leur sortie officielle, prévue mercredi, nous confirme le géant américain. Pour l’instant, les seules images ayant filtré proviennent d’une bande-annonce de 2 minutes 30 secondes lancée en octobre. La plateforme publie également quelques photos au compte-gouttes depuis l’été.

Alors, comment justifier ce tollé ?

L’époque à laquelle s’intéresse aujourd’hui l’œuvre de l’auteur Peter Morgan fournit une partie de l’explication. En effet, la cinquième saison nous plongera dans l’une des décennies les plus éprouvantes pour Élisabeth II (désormais campée par Imelda Staunton) : les années 1990. Lors d’un célèbre discours, la reine avait d’ailleurs surnommé 1992 « annus horribilis », une expression latine qui n’exige aucune traduction.

Selon un résumé fourni par Netflix, cette nouvelle saison traitera des nombreux « ennuis d’ordre domestique » qui ont plombé la monarchie durant cette période noire, dont l’éternel conflit entre Charles (dorénavant défendu par Dominic West) et Diana (Elizabeth Debicki). La série montrera notamment comment la malheureuse princesse a « brisé le protocole » en publiant un livre exposant les failles du clan royal.

The Crown, saison 5
  • Dominic West (le prince Charles) et Elizabeth Debicki (Diana)

    PHOTO KEITH BERNSTEIN, FOURNIE PAR NETFLIX

    Dominic West (le prince Charles) et Elizabeth Debicki (Diana)

  • Imelda Staunton (la reine Élisabeth II) et Jonathan Pryce (le prince Philip)

    PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

    Imelda Staunton (la reine Élisabeth II) et Jonathan Pryce (le prince Philip)

  • Scène tirée de The Crown 5

    PHOTO KEITH BERNSTEIN, FOURNIE PAR NETFLIX

    Scène tirée de The Crown 5

  • Imelda Staunton (la reine Élisabeth II) et Claudia Harrison (la princesse Anne)

    PHOTO KEITH BERNSTEIN, FOURNIE PAR NETFLIX

    Imelda Staunton (la reine Élisabeth II) et Claudia Harrison (la princesse Anne)

  • Elizabeth Debicki incarne la princesse Diana.

    PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

    Elizabeth Debicki incarne la princesse Diana.

  • Élisabeth II, désormais campée par Imelda Staunton

    PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

    Élisabeth II, désormais campée par Imelda Staunton

  • La saison 5 est très attendue.

    PHOTO KEITH BERNSTEIN, FOURNIE PAR NETFLIX

    La saison 5 est très attendue.

  • Les chiens d'Élisabeth II figurent aussi dans la série.

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    Les chiens d'Élisabeth II figurent aussi dans la série.

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On s’intéressera également à l’apparition de l’homme d’affaires égyptien Mohamed Al-Fayed (Salime Daw), qui a utilisé sa fortune pour s’approcher de la puissante famille avec son fils, un certain Dodi (Khalid Abdalla), qui deviendra l’ultime amant de Lady Di. Le couple a péri dans un accident de voiture en août 1997, un tragique évènement que relatera la sixième et ultime saison du drame, actuellement en tournage. Le mois dernier, l’équipe a été vue à Paris en train de filmer la fameuse séquence près du pont de l’Alma, l’endroit où Diana a trouvé la mort. Les images des agences de presse montrant de faux paparazzis à moto entourant une Mercedes noire ont provoqué l’ire du biographe royal Andrew Lownie, qui s’est vidé le cœur au MailOnline.

Cette éruption s’est ajoutée à celles de nombreuses personnalités britanniques, dont l’ancien premier ministre conservateur John Major (« un tonneau d’absurdités ») et l’actrice Judi Dench. Dans une lettre ouverte au Times, la star de cinéma et proche amie du roi Charles III a qualifié la série de « cruellement injuste », l’accusant de « brouiller les lignes » entre « exactitude historique » et « sensationnalisme grossier ». Après cette critique, Netflix a accepté d’inclure un avertissement sur YouTube, précisant qu’il s’agit d’une série « inspirée de faits réels » qui « fictionnalise » l’histoire.

Au mauvais moment

Selon Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill, la saison 5 suscite la controverse parce qu’elle paraît au moment inopportun. Avec l’accession au trône du roi Charles III, la famille royale a tout sauf besoin qu’on nous remémore ses périodes moins glorieuses.

« Pour certains, c’est une attaque en règle, un règlement de comptes », indique le professeur au département de science politique de l’Université McGill.

The Crown aurait comme effet de saper la crédibilité de l’institution monarchique à travers un portrait peu flatteur de Charles. La quatrième saison, qui dépeint Diana en victime, n’a pas été très positive pour son image. On craint que l’histoire se répète.

Daniel Béland, professeur au département de science politique de l’Université McGill

Plus encore, The Crown reprend du service alors qu’on remet en cause la monarchie dans certains pays du Commonwealth, signale Daniel Béland. « Au Royaume-Uni, la monarchie se porte bien, mais ailleurs, ce n’est pas nécessairement le cas. La Barbade s’est affranchie. En Australie, on parle d’un possible second référendum pour quitter la monarchie. La Jamaïque voudrait aussi en finir… Même au Canada, avec tout le débat entourant le serment au roi avec PSPP [Paul St-Pierre Plamondon]. Puisque Netflix, c’est mondial, c’est partout, ça inquiète beaucoup de monde. »

Soif de « croustillant »

D’un autre côté, on peut se demander pourquoi la série enrage autant les monarchistes puisqu’elle a permis à des millions de personnes, issues de diverses générations, d’apprendre à mieux connaître la reine d’Angleterre, estime Anouk Bélanger, professeure et directrice au doctorat au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal.

« La série m’a donné certaines clés historiques pour mieux comprendre sa relation avec Winston Churchill, son sens des responsabilités, etc. La série nous donne un accès à la vie qu’elle a menée, avec ses contraintes, ses défis… J’ai gagné en connaissances ainsi qu’en respect pour elle. »

Selon Anouk Bélanger, The Crown a ravivé une « passion populaire » : celle « d’analyser tout ce qu’on peut nous proposer comme images, représentations et rumeurs » concernant la famille royale.

Enfin, la superproduction participerait au phénomène de « pipolisation » (ou vedettisation) des figures politiques, c’est-à-dire médiatiser leur vie privée. « On aime regarder les frasques des personnages fictifs, et encore plus celles des personnes réelles, dit Anouk Bélanger. La télé a toujours nourri ça. [The Crown] ne fait pas exception. Bien au contraire. On y parle d’une famille qu’on voit partout dans les médias. On voit les enterrements, les mariages, les baptêmes, le petit-fils [Harry] en entrevue avec Oprah… Ça satisfait notre goût de croustillant. »

La 5e saison de The Crown atterrit sur Netflix mercredi.