Après 10 ans, 15 ans, 20 ans à la barre d’une émission, quel est le secret pour rester allumé ? La Presse en a discuté avec des animateurs de longue date.

Gino Chouinard règle son réveille-matin à 3 h depuis une vingtaine d’années. Il aime toujours Salut Bonjour. Autant que l’équipe qui l’entoure. Mais après un certain temps, « le simple fait d’occuper un poste n’est plus suffisant », explique la tête d’affiche de TVA. « Il faut ajouter de nouveaux défis, de nouveaux éléments qui viennent chercher en nous quelque chose qu’on n’utilise pas. »

Voilà pourquoi cet automne, le gagnant de 14 prix Artis souhaitait notamment renouveler le groupe de collaborateurs de l’émission, pour qu’elle comprenne des personnalités comme Michel Barrette et Boucar Diouf, avec lesquelles il pourrait exploiter d’autres facettes.

Gino Chouinard n’est pas l’unique animateur dans cette situation. C’est ce que nous avons constaté en sondant quelques grosses pointures du petit écran.

Apporter des changements, repousser les limites du possible, assouvir une passion parallèle en jouant d’un instrument de musique… Pour garder la flamme, les animateurs adoptent différentes stratégies.

« Dans notre métier, on valorise beaucoup les gens qui changent souvent de rôles, de types d’émissions… Avec raison. Mais on pourrait aussi valoriser la longévité », croit Gino Chouinard.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Gino Chouinard sur le plateau de Salut Bonjour

Le monde pense qu’étant donné qu’on occupe le même poste depuis longtemps, c’est facile, mais non. Pour moi, plus le temps passe, plus c’est difficile d’animer Salut Bonjour. Parce que plus je fais des choses que j’ai déjà faites.

Gino Chouinard

La routine est également l’ennemie de Julie Bélanger, qui présente Ça finit bien la semaine en tandem depuis 2013. « Quand l’énergie de bonifier et d’améliorer [l’émission], tu l’as encore, c’est signe que tu es encore au bon endroit », signale-t-elle en entrevue.

Se surprendre

Le discours de Gino Chouinard trouve écho chez France Beaudoin. Bien qu’En direct de l’univers n’ait plus rien à prouver après 14 saisons sur ICI Télé, comme en témoigne son public fidèle et nombreux (plus de 1 100 000 téléspectateurs, selon Numéris), l’animatrice cherche constamment des défis à relever. Une émission consacrée à Michel Louvain pour saluer la mémoire du chanteur à quelques jours d’avis ? Pourquoi pas ? Une émission spéciale de la fête des Mères en pleine pandémie ? Allons-y !

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France Beaudoin anime En direct de l’univers depuis déjà 14 saisons.

Les gens me disent souvent : “Faites-en moins, le show va marcher pareil.” Je l’ai entendue 1000 fois, celle-là. Mais on doit pouvoir se surprendre nous-mêmes.

France Beaudoin

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, cultiver cet esprit alerte revêt une importance particulière, estime l’animatrice et productrice.

« Les gens sont sollicités de toutes parts, explique-t-elle. Il manque des corps de métier partout. Si ton monde n’est pas stimulé, s’il n’a pas une raison de revenir, un sentiment d’appartenance, un plaisir renouvelé… Bonne chance ! Tu risques de perdre des gens. Et c’est normal qu’ils aillent voir ailleurs. C’est pour ça que j’essaie de garder mon monde intéressé, qu’ils aient toujours l’impression qu’on peut faire quelque chose de nouveau, qu’on peut aller de l’avant, même dans des situations qui n’ont aucun sens ! Je suis convaincue qu’on aurait perdu certains joueurs sinon. »

Efforts variables

Certains animateurs doivent déployer de moins grands efforts pour conserver leur élan. Aux commandes de Belle et bum depuis 20 ans à Télé-Québec, Normand Brathwaite se garde allumé en « s’impliquant musicalement », c’est-à-dire en jouant de divers instruments (harmonica, guitare, cloche à vache, etc.) lorsque les artistes livrent leurs prestations.

  • Normand Brathwaite durant l’enregistrement de Belle et bum

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Normand Brathwaite durant l’enregistrement de Belle et bum

  • Normand Brathwaite accompagne Dany Placard et Julie Doyon.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Normand Brathwaite accompagne Dany Placard et Julie Doyon.

  • Normand Brathwaite avec Daniel Lavoie

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    Normand Brathwaite avec Daniel Lavoie

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L’équipe derrière Belle et bum contribue également à l’exercice. Chaque semaine, elle tâche de dénicher un artiste qui saura surprendre son animateur, ainsi qu’un autre qui saura l’émouvoir. « On est rendu à 400 et quelques émissions, et ça ne m’est jamais arrivé de sortir d’un enregistrement en disant : “C’était plate.” Il y a toujours quelque chose. J’ai encore beaucoup de plaisir », affirme Normand Brathwaite.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Guy A. Lepage

Les efforts sont également minimaux pour Guy A. Lepage et Jean-René Dufort, puisqu’ils peuvent compter sur l’actualité, un puits sans fond, pour créer des étincelles. « Si [Tout le monde en parle] était une série télé, ça ferait longtemps qu’on serait devenu plate, illustre Guy A. Lepage, qui vient d’amorcer sa 19e saison aux commandes du talk-show dominical de Radio-Canada. Notre avantage, c’est que chaque semaine, les intrigues se créent d’elles-mêmes. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-René Dufort

« Je suis le premier étonné qu’Infoman soit toujours en ondes après 23 ans, ajoute Jean-René Dufort. Je suis aussi le premier étonné d’être encore passionné. Mais l’actualité, c’est le meilleur show en ville. Chaque semaine, je pense qu’il n’y aura plus de niaiseries de candidats et qu’il n’y aura plus de trucs rocambolesques, mais comme par magie, la chaudière se remplit toujours. »

L’après, pas tout de suite

Après autant de saisons au volant de la même émission, il arrive parfois que Gino Chouinard, Julie Bélanger, France Beaudoin, Guy A. Lepage, Jean-René Dufort et Normand Brathwaite pensent à « l’après ». Mais aucun ne semble vouloir tourner la page prochainement.

PHOTO KARINE DUFOUR, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Guy A. Lepage sur le plateau de Tout le monde en parle

Chaque fois que je suis arrivé au bout d’un projet, c’est parce que je n’avais plus rien à apprendre.

Guy A. Lepage

« Avec Tout le monde en parle, j’ai encore tout à apprendre, explique Guy A. Lepage. J’ai encore le kick. J’ai lu plein de livres que je n’aurais jamais lus [autrement]. J’ai rencontré plein de gens formidables — et aussi quelques trous de cul — qui m’ont changé comme être humain. Pour moi, c’est une école. C’est comme si j’allais à l’université chaque année. »

« Est-ce que j’ai envie de poursuivre pour longtemps ? Ma réflexion n’est pas encore amorcée, soutient Gino Chouinard. Mais je sens que j’ai besoin d’une forme de transformation. J’avance en âge. Professionnellement, il m’en reste moins devant que derrière. Il y a peut-être des zones que j’aimerais explorer. »