Il y a 50 ans cette année, les trois grandes centrales syndicales du Québec réunissaient leurs forces pour négocier collectivement avec le gouvernement. Le documentaire Pouvoir oublier pose un regard critique sur le Front commun de 1972 : l’espoir qu’il a nourri, ses tragédies et son impact à long terme.

« Toute l’histoire de l’industrialisation est marquée de cadavres de femmes, d’enfants et de travailleurs », clame Michel Chartrand vers la fin du documentaire Pouvoir oublier. Il boucle la boucle, pour ainsi dire, puisque le film de David Simard et Pierre-Luc Junet débute en rappelant la mort du jeune Herman St-Gelais, fauché par un chauffard farouchement antisyndical, lors du Front commun de 1972.

Pouvoir oublier revient sur l’histoire du syndicalisme au Québec en s’attardant à cette période clé où, pour la première fois, la lutte des travailleurs ne visait pas un employeur étranger ou privé, mais l’État.

En 1972, les trois grandes syndicales du Québec – la CSN, la FTQ et la CSQ – ont en effet joint leurs forces pour négocier conjointement les conditions de travail des employés du secteur public et parapublic.

L’affrontement fut dur, marqué par des émeutes et une répression policière parfois brutale. En réponse au vote de grève générale illimitée, le gouvernement a aussi promulgué une loi spéciale assortie d’amendes salées et emprisonné les trois dirigeants du Front commun : Marcel Pepin de la CSN, Louis Laberge de la FTQ et Yvon Charbonneau de la CEQ.

L’élan collectif qui a soulevé le Québec il y a 50 ans a frappé un mur : quelques heures avant l’entrée en vigueur de la loi spéciale, les chefs syndicaux ont capitulé et recommandé aux travailleurs de rentrer au boulot. Une décision dont Michel Chartrand s’était dissocié.

Rêves brisés

Pouvoir oublier prend le temps de décortiquer ce symbole du syndicalisme québécois avec des syndicalistes d’hier, qui évoquent avec une nostalgie certaine ce mouvement visant à prendre parti pour « le monde ordinaire ». Il en analyse aussi le discours teinté de marxisme et les visées révolutionnaires : le syndicalisme était alors perçu comme un instrument de combat contre le capitalisme et visait, résume le film, à instaurer le socialisme ou, à tout le moins, la social-démocratie.

IMAGE TIRÉE DE POUVOIR OUBLIER, FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Rassemblement devant le palais de justice de Sept-Îles en 1972

Le documentaire n’a toutefois rien d’hagiographique. David Simard et Pierre-Luc Junet soupèsent habilement l’idéalisme du mouvement et ses répercussions à long terme, notamment l’espèce de beau risque pris par les chefs syndicaux, qui regrettent parfois d’avoir été trop proches des élites politiques.

Ce Front commun, porteur d’espoir, est aussi devenu le symbole d’un échec dont le syndicalisme peine à se remettre, suggère le documentariste. « Contre les rêves brisés, dit le narrateur, il n’y a plus de remède, sauf l’oubli. »

Qu’est-il resté du pouvoir des travailleurs après ça ? Que reste-t-il aujourd’hui des syndicats ? Sont-ils encore porteurs de projets – et de progrès – sociaux ou simplement un maillon dans la gestion du capital humain ? Y a-t-il un sens à se limiter à négocier des augmentations de salaire de 1 $ par-ci, par-là ? demande un intervenant.

Pouvoir oublier se bat à sa manière contre l’oubli, mais en soulevant des questions qui trouvent un écho au présent. Et si le film montre un climat d’une effervescence qu’on a peu vue depuis, sauf peut-être lors du Printemps érable, il y a 10 ans, il n’en cache pas la violence ni l’amertume ressentie par ceux dont les espoirs ont été déçus.

Mercredi, 20 h, à Télé-Québec